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dimanche 29 décembre 2013

Expression écrite #2

En octobre, je vous partageais les premiers travaux des étudiants américains de Marie. J'ai reçu une deuxième fournée de ces petits délices, je ne me lasse pas de lire ces personnes que je ne connais pas, imaginer la suite de ma propre vie dans une langue qui n'est pas la leur. C'est un exercice difficile... Encore merci d'avoir participé a ce projet !

Suite a l'article Hang loose

Prix de l'article le plus VRAI
Heureusement on a rencontré notre ami couchsurfer ! Il nous a vraiment sorti du pétrin avec la voiture ! Notre voiture-maison était bien sûr une voiture de location. Puisque notre visite à Honolulu allait bientôt prendre fin, la voiture était à remettre au parking de location pour le lendemain à 9 heures du matin. Sans lui, on n‘aurait sûrement pas trouvé la fourrière ni comment y aller. C’est vrai que maintenant on rigole bien de l’histoire mais sur le coup on a ressenti une grande panique.

Alors avec notre voiture-maison retrouvée, on a pu passer notre dernière nuit à Honolulu sans souci. Avant tout, nous avons dû trouver un bon endroit pour stationner la voiture pour la nuit (on ne retournera plus à la fourrière !) puis on a décidé d’apporter nos sacs à dos à la plage pour regarder les étoiles d’Hawaii et profiter de notre dernière nuit sur l’île, de la bonne odeur de la mer et du son des vagues. Le lendemain matin, on est arrivée à la fourrière à 9h pile, sans retard pour remettre la voiture. Ensuite on a trouvé un taxi pour nous ramener à l’aéroport, laissant derrière nous les bons moments vécu à Hawaii, les personnes qu’on n’oubliera jamais, la nourriture magnifique, la culture tellement joyeuse, la musique, les odeurs et les histoires qui nous feront rêver pour le reste de nos vies.
- Samantha Worthington

Prix de l'article le plus VRAI (comment faites-vous pour deviner ce qu'il s'est vraiment passé?!)

En arrivant à YVR, la réalité froide du Canada nous a frappées. Très fortement. J'ai repris le travail le lendemain matin, et j'avais envie de mourir. J'avais oublié mon café chez moi, ma colocataire m'a crié dessus pour aucune raison valide, et mon chef existait encore. En plus, il neigeait légèrement et j'ai mis de petits mocassins à mes pieds. J'étais gelée. Je voulais seulement retourner à cette petite plage cachée, me coucher dans le sable doux, et m'endormir sous le soleil.
- Kelly Powers

Suite a l'article Se remettre au sport

Prix de l'article qui révèle mes fantasmes secrets
Quand je suis allée à la gym pour la première fois, c'était difficile et épuisant. J'ai voulu quitter, mais je suis restée parce que la culture à Vancouver m’inspire. Voilà ce que j’ai dit plus tôt. C'est vrai ça ! Mais il y a une autre raison : j'étais motivée par mon coach personnel, Dave. Il est beau, et a de beaux muscles. J'aime le voir soulever des poids. Chaque fois que j’y vais, notre relation se développe. On parle et on flirte. Donc, je suis excitée à l’idée d'aller à la gym. Les bons moments qu'on a me motivent à y retourner. En fait, on a rendez-vous ce soir dans un restaurant réputé !
- Rachel Braggen

Prix de l'article le plus proche de ce que je VOUDRAIS être la réalité :D
Depuis mon dernier récit, je crois que je suis tombée amoureuse de la course. Je cours chaque matin et je ne peux pas imaginer ma journée sans cette activité. En plus de ma routine dans le gym, j'aime aussi courir dans la rue et sur les pistes dans le parc. La course m'a transformée en une vraie citoyenne de Vancouver. Je crois que je comprends mieux la ville, parce que je la vois de la perspective d'une coureuse. Mon amie, Lucie, va participer à une course au printemps et elle m'a convaincue de me joindre à elle. On doit courir cinq kilomètres. Il y a un prix d'entrée de vingt dollars qui est donné à une association caritative. Ce n'est pas mon but de gagner la course, parce qu'il y a des centaines de participants. J'espère seulement pouvoir finir la course avec mes amis et sans la gêne. Je dois commencer par l'entraînement tout de suite! (ça c'est bien vrai !! NDLR)
- Leda Brittenham

jeudi 19 décembre 2013

Crise identitaire

Aussi loin que je me souvienne, j'ai entendu cette phrase de la bouche d'à peu près tout le monde : "ya pas de secret. Pour apprendre une nouvelle langue, il faut vivre en immersion totale".

Un peu comme si vos capacités d'apprentissage devenaient soudain surhumaine en dehors des frontières de votre pays natal. Un peu comme si votre cerveau, jusqu'alors imperméable aux cours de grammaire de Mrs Draftford en 4ème B, pouvait tout à coup comprendre une langue inconnue, pour la simple et unique raison que vous lui avez offert un billet Paris-Londres. En fait, j'imaginais qu'il se passait quelque chose de magique, une sorte de declic qui ne survenait qu'a l'etranger, un truc inexplicable pour les non-inities.

Alors imaginez un peu : depuis que je suis au collège, je veux faire partie de ceux qui SAVENT. Encouragée par les récits de voyage des uns et des autres, voilà 15 années que je ronge mon frein, attendant patiemment le moment où, à mon tour, je partirai en terres anglophones pour faire partie, enfin, de ceux qui reviennent au pays et t'assurent d'un air un peu blasé :
"ouais ça y est, je suis bilingue".
Ce moment est arrivé. Je veux dire, je suis arrivée à l'étape 1 de mon rêve de gosse : j'habite en terres anglophones. Parce que l'étape 2, le but ultime, l'étape finale, comprenez donc : être bilingue, est encore très loin devant moi.

Voilà pourtant 5 mois jour pour jour que je suis arrivée à Vancouver. Et bien que je travaille, que je lise, que vive en anglais, je m'exprime à peu près aussi bien qu'il y a 15 ans, lorsque j'étais au collège et que je rêvais de vivre en terres anglophones.

Alors d'accord, l'experience n'est pas un echec total. Ma compréhension s'est considérablement améliorée, notamment au cours des premieres semaines. Tant que je n'échange pas avec un habitant de Toronto, je comprends à peu près tout maintenant (No offense pour nos amis de l’Ontario : de leur propre aveux, ils parlent un anglais « paresseux ». Non contents de n'utiliser que des abréviations, ils ne prennent pas non plus la peine d'articuler, ce qui fait qu’ils ne prononcent en fait que des sons sans sous-titre).

Je dis bien que je comprend « à peu près » tout, car il m'arrive encore de ne comprendre que le mot clé du discours, l’idée principale autour de laquelle je vais axer ma compréhension générale. Cela peut d'ailleurs amener à de terribles quiproquos, lorsque je découvre au bout de 15 minutes que je n'avais pas compris le bon mot clé, et que je me fourvoie donc complètement sur le sens de la conversation que je suis en train de mener.

Bref. J'attends donc toujours ce fameux déclic, ce glorieux matin où je me réveillerai bilingue après une nuit de rêves en anglais (encore un autre mythe, si vous voulez mon avis). Ce moment béni où je rigolerai en même temps que mes amis au cinéma. Mais, puisque cela ne semble pas fonctionner pour moi,je recherche du réconfort auprès de tous les expats que je rencontre.

Certains sont de merveilleux alliés : des contemporains qui, cinq, dix, vingt ans après leur installation au Canada, parlent toujours comme des vaches normandes. Je bénis ces gens-là, que je repère de loin dans la rue, et sur qui je saute de joie en chantant la Marseillaise
- tu viens d'arriver toi aussi?
- non, j'habite là depuis huit ans
- ah! Awsome *!!!
* Awsome, c’est LE mot typique de Vancouver qui veut dire « génial »

Mais il y a aussi les agaçants, ceux qui font partie du Grand Mythe. Ceux qui sont devenu des petits génies en quittant la France. Je pense par exemple au vendeur du stand Hermès à Hudson Bay. L'autre jour, je suis allée me pschitter un peu de mon parfum en douce (ne pouvant pour l'instant pas m'offrir le luxe d'un flacon), lorsque le scélérat, voyant clair dans mon jeu, s'est approché pour tenter de me faire son petit numéro de vendeur de luxe.
Je n'avais pas prononcé deux mots que, comme d’habitude, j'étais mise à nue :
- ah! Tou es fwonçaise? -me demanda-t-il avec un accent américain pas possible
Nous avons alors entamé un début de conversation en français, moi articulant bien pour qu’il me comprenne et lui, maladroit, hésitant, cherchant ses mots pour me dire que, comme moi, il était né à Montpellier. Qu’il avait passé 23 ans de sa vie en Languedoc-Roussillon. Et qu'il était à Vancouver depuis quatre 4 ans seulement.

...Le garçon avait donc désappris sa langue maternelle au profit de l’anglais, à tel point qu’il ne s’en souvenait presque plus.

Morte de jalousie devant l'échec flagrant de ma propre intégration, je me suis pschitté encore 5 ou 6 fois avant de tourner les talons. Pourquoi lui et pas moi? Pourquoi tout le monde devient bilingue a l’étranger, sauf moi ? Qu'est ce qui cloche avec mon cerveau ?! Je ne suis pourtant pas plus bête qu'une autre nom de dieu.

Suite a cette terrible matinée, j'ai tenté d'analyser de façon objective ma façon de parler anglais afin de déterminer mes forces et mes faiblesses linguistiques. Et j'en ai tiré 3 critiques constructives.

Pour commencer, ma pensée est timide. Moi qui pars au quart de tour en français, je suis réservée et sans ressource en anglais. Parfois je voudrais répondre mais, peu certaine des mots à utiliser, je chuchote, je bafouille, je réplique en mono syllabe. Si cela me fait sentir aussi brillante qu'une poêle en fonte, ça a au moins le mérite de plaire aux hommes : depuis que je suis muette, j'ai un succès fou. Walt Disney me l’avait pourtant dit mais il semble que je l’avais oublié... Dans la Petite Sirène, Ursula fait une révélation que les petites filles feraient bien de retenir :



Ah, je peux dire que les Humains n'aiment pas les pipelettes,
Qu'ils pensent que les bavardes sont assommantes !
Que lorsqu'une femme sait tenir sa langue,
Elle est toujours bien plus charmante,
Et qu'après tout à quoi ça sert d'être savante ?

En plus, ils ont une Sainte horreur de la conversation,
Un gentleman fait tout pour l'éviter.
Mais ils seront les rampe-aux-pieds de la femme réservée,
C'est la Reine du silence qui se fait aimer !


Mais je m'égare. Ce que je veux dire en fait, c'est que ce premier frein dans la maîtrise d'une langue étrangère est de l'ordre de la confiance en soi. Avec un ou deux verres de vins toutefois, je pense plus librement et m'exprime avec plus d'aisance. Mais, n’étant pas vraiment portée sur la bouteille au quotidien, je suis muette ou un peu simplette, la plupart du temps.

Question d'assurance.

La deuxième critique tirée de mon auto-analyse est la suivante : il semblerait que la maîtrise d'une langue étrangère soit une question d'oreille musicale. Certaines personnes chantent faux, d'autres trouvent instinctivement les notes justes. Certains privilégiés ont l'oreille absolue et sont capables de reproduire un son de manière spontanément. Lorsque tu apprends une nouvelle langue, tu peux l’appréhender somme une suite de mots nouveaux, comme de fastidieuses leçons de conjugaison et de règles grammaticales. Ou bien, tu peux concevoir cette nouvelle langue comme une musique, et être capable de la fredonner au bout de deux ou trois écoutes.

Malheureusement pour moi, qui chante pourtant plutôt juste, et malgré mes six années de solfège, et en dépit du fait que j’écoute cette même musique encore et encore depuis cinq mois, je ne la retiens pas.

Question d'oreille.

La troisième et dernière observation est bien plus grave, parce qu’irrémédiable. Restons si vous le voulez bien dans le thème musical : j'ai lu quelque part que les bébés ne pleuraient pas de la même façon selon l'origine de leurs parents. Un nouveau-né mexicain de criera pas comme un nouveau-né allemand, comme si, déjà, leur sphère ORL était modelée dans une forme particulière qui ne produira a jamais que telle ou telle sonorité. J'ai des amis canadiens qui sont nés et ont grandis à Vancouver, mais dont les parents sont chinois. Hé bien croyez-moi, bien que leur anglais soit impeccable, ils le parlent avec des sons chinois.

je crois qu'en fait, le problème ne vient pas tant de ta capacité d'apprentissage, de ton assurance ou encore de ton oreille, mais bel et bien de l'ergonomie de ta sphère ORL. De la même façon que certaines personnes sont souples et d’autres raides comme un piquet, il y a des chanceux dotés d’une trachée flexible, et d’autres pas. Dans mon cas, puisqu'on parle de moi ici, ma langue ne se place pas où il faut, mes lèvres sont paresseuses et ma gorge ne module rien. Je suis bêtement coincée à prononcer des sons francophones, parce que je ne suis pas une athlète linguistique.

Question de muscles.



Je me rabats donc sur ce que je peux : capitaliser sur mon accent français, et assumer pleinement mes origines. Au début, j'essayais de m'appliquer à bien prononcer les mots pour ressembler à une canadienne. Maintenant, je parle comme une parisienne, pour la plus grande joie des populations locales qui s'extasient devant "such a lovely accent" ("un accent aussi adorable"). 

Pour eux, je suis Edith Piaf. Je suis Amélie Poulain. Je suis une peintre impressionniste, je sens la lavande de Provence, et je chante comme une cigale. Les clients m'adorent et je me fais houspiller par mes collègues parce que je papote trop, faisant voyager leurs oreilles à Paris ou au Mont Saint-Michel.
Contre toute attente, je deviens ambassadrice de mon pays, moi qui suis parti si loin de lui.

Me voilà donc garante de notre image de marque. J'interdis d'appeler un Cabernet Sauvignon du "cab-sav" (pratique hélas très répandue). Je rends honneur au "classic French racism" en faisant des blagues racistes à l'encontre des asiatiques (il n'y a malheureusement pas d'arabe à Vancouver). Je porte des gants de cuir vermillons et des chaussures CosmoParis, boycottant les leggings et les chaussures de yoga (mode pourtant si confortable que beaucoup d'entre nous l'ont déjà adoptée).

Bref, je cultive ma French touch. Et j'accepte doucement l'idée que je fais partie de ces expatriés qui, plutôt que de changer de nationalité, renforcent leur identité… Même si elle n’avait jusqu'alors jamais vraiment existé.

C'est un sentiment nouveau pour moi, cette identité définie en termes d'origine géographique. Je me sens, j'imagine, comme un français d'origine algérienne a qui on demanderait "bon et alors? Tu es français ou algérien?". Comment répondre a cette question saugrenue? Faut-il vraiment choisir ?

Je suis française au Canada. Je me sens canadienne, avec une culture française.
Vancouver est une ville qui permet a chaque canadien d’être ce qu'ils sont, de parler avec leur accent, de porter les vêtements qui correspondent a leur culture, de manger comme l'on mange dans leur pays d'origine. Je me souviens de l'indien enturbanné qui conduisait le taxi que j'ai pris la nuit de mon arrivée a la gare de Vancouver. Il parlait un anglais bancal et donnait l'impression d'd’être arrivé de New Dehli la veille, mais a la question "vous êtes d'ou?", il m'avait répondu :
"D'ici. De Vancouver".
Oh, Canada...

mardi 10 décembre 2013

Le café

Lorsque j’étais au Vietnam en octobre 2011, la française que je suis a été invitée à prendre un café dans la plus fameuse maison de torréfaction du centre du pays. Impossible de me souvenir du nom ni de l’endroit, c’était quelque part entre Dalat et Nha Trang, au bord d’une route poussiéreuse et bruyante. C’était la première fois que je partageais un café vietnamien avec un vietnamien dans un endroit fréquenté par des vietnamiens, et le choc des cultures fut grand. Il était presque 7h du matin, et des dizaines d'hommes prenaient leur café entre hommes avant de partir travailler.

Crédit photo : moi

Assise sur un petit tabouret de plastique coloré, j’observais le rituel, impatiente, mal lunée, en manque de caféine pour commencer ma journée.
« Patience », me répétait My alors que mon café infusait au compte-goutte dans mon verre rempli de lait concentré. C’était interminable. Mais lorsqu’enfin ce fut fini, j’attrapais mon café et le vidait d’une traite, sous les yeux horrifiés de mon ami : de son coté de la table, il touillait encore le sien pour le lier au lait concentré.
Et comme si on n'avait pas déjà assez perdu de temps comme ça, il attendit encore un peu plus que le café tiédisse, puis le dégusta tranquillement, trempant ses lèvres dans son verre sucré, et faisant claquer sa langue de plaisir après chaque lampée. 


Café vietnamien avec le filtre sur le le verre,
et une dose généreuse  de lait concentré
Photo chipée sur gobackpacking.com

Je regardais tous ces hommes qui prenaient une heure de leur journée pour siroter leur café. S’ils travaillaient à La Défense, on les aurait déjà virés pour glandage éhonté. Mais la pause-café au Vietnam, c’est un rituel. C’est la petite parenthèse virile du matin, en dehors de la famille et loin du lieu de travail, un peu comme on irait prendre une bière-cacahuète avec les copains au PMU du coin.

Parce qu'n France, au contraire, le café se boit sur le pouce, bien fort et bien serré, debout entre la table de la cuisine et la porte d’entrée. Il est le coup d’envoi de la prochaine action. Le café est transition entre repos et travail. C’est un excitant, dans tous les sens du terme, a en croire les publicités ou une brunette sensuelle et un beau brun ténébreux se rencontrent un instant pour une étreinte torride.


Pub Carte Noire de mon année de naissance - bijou 

Boire un café à Paris, c’est devenir un adulte avec tout ce que cela implique : le travail, le sexe, la productivité, les apparences qu’il faut sauver. Le café est la boisson des winners, des dragueurs, des travailleurs.

En France, on apprécie un café comme un boit un bon vin, pour ses arômes, pour sa robe, pour sa texture en bouche. On ne va pas s’embêter de fanfreluches inutiles, l'essentiel est dans la tasse. Ainsi, le touriste abasourdi verra son café, débordant dans la coupelle, expédié nonchalamment par un serveur presse. Ce n'est pas le service qui fait un bon café. Mais qu'on se régale ou pas, c'est comme ça : on ne termine pas son repas sans un petit kawa.

Photo chipée sur michelleroohani.com

L'autre jour, mon coloc et moi étions dans un de nos grands débats nocturnes autour d'une bouteille de Brandy : en bons français, on comparait notre ville d'avant (Paris) a notre ville de maintenant (Vancouver), et comme souvent Paris l'emportait, parce qu'un peu de chauvinisme ne fait jamais de mal quand tu vis loin.

Alors on parlait du café a Vancouver, parce qu'ici on ne plaisante pas avec le café. C'est une institution, voyez. Les employeurs ne recrutent pas des barristas, mais des"Artistes du latte". Les clients font preuve d'une exigence digne du troisième Reich lorsqu'il s'agit de leur café, et gare a l'artiste qui prendrait un peu trop de liberté dans le dessin en crème fouettée. Pourtant, rien de sensationnel dans le café canadien : ce n’est en fait qu’un arôme pour boisson chaude, et la qualité des grains compte moins que l’image de l’endroit où ils sont torréfiés. C’est ainsi qu’à chaque coin de rue fleurissent des petits cafés de quartier, remplaçant les églises. Chacun sa paroisse, excusez mon langage. Ces lieux de cultes d’un genre nouveau sont à l’image de leurs habitués : certains tout simples et d’autres un brin surfaits.

Mais comme dirait Martin : "a Paris, le café est meilleur et pourtant, on me le jette a la gueule tu vois".

Et pour cause : si les cafés sont des petits paradis ou il fait bon flâner, le café a proprement parler, lui, ne fait pas vraiment rêver. A Vancouver, le café est le petit réconfort des grandes personnes, qui troquent en grandissant le chocolat chaud pour un Mocha double shot :  l’équivalent d’un espresso dans une très grande quantité de lait. Chaque café est unique, parce qu'il est fait tout spécialement pour la personne qui le commande : tiède, chaud ou très très chaud, lait végétal, crème, moitié-lait-et-moitié-crème, lait aromatisé ou encore lait écrémé... Le choix est infini mais attendez encore : on y ajoute ensuite de la cannelle ou du chocolat, de la crème fouettée entière ou low-fat, du nappage, du sirop avec ou sans sucre... Voila, ton café est prêt : tu peux enfin le siroter par petite gorgées dans un gobelet en carton qui porte ton prénom.

Dans la ville tout le monde travaille, le café se fait mobile : il faut pouvoir l’emporter dans la rue pour aller travailler, vite, ne pas perdre de temps mais prendre le temps, tout de même, de serrer dans ses mains son gobelet, comme une bouillote réconfortante qui accompagne en douceur la transition entre le lit et le bureau, entre enfance et âge adulte. Il y a quelque chose de tendre dans ce rapport au café. Et tant de proximité forcement, ça crée des liens ; je crois que je commence a avoir des sentiments pour cette boisson.

Steve et Shawn, deux grands enfants croisés ce matin sur la plage,
avec leur café-bouillote dans les mains

L'exemple typique du café bobo de Vancouver : boissons hors de prix,
produits bio ou gluten-free, bibliothèque commune en plein air...
Convertie au café le plus infâme et pourtant préféré des canadiens :
Tim Hortons

lundi 2 décembre 2013

La magie de Noel

Dès le lendemain d'Halloween, c'est à dire au matin du 1er novembre, Noël a commencé à Vancouver. 

Depuis un mois, les musiques de Noël envahissent nos oreilles et on boit notre café dans des gobelets en cartons décorés pour l’occasion. Alors vous pensez bien que le 1er décembre fut un jour à célébrer en grandes pompes ! Le père Noel lui-même s’est déplacé pour faire son auto promo dans les rues du centre-ville, qui a été complètement bloqué 6 heures durant pour l’occasion.
Ça tombe bien, tiens ! C’était exactement les 6 heures durant lesquelles je devais traverser la ville en bus pour aller travailler dans un centre commercial du nord le matin, puis revenir au sud dans l’après-midi pour mon shift au resto.

Mais revenons un peu en arrière. Ce matin-la, on était le 1er décembre, j’étais toute seule a l’appart et je n’avais même pas de petit chocolat du calendrier de l’avent pour me réconforter, parce que j’avais tellement travaillé ces derniers jours que je n’avais pas eu le temps de savoir qu’on était fin novembre. 

Je m’étais réveillée avec quelque chose de très désagréable à l'arrière de mes yeux, une tension qui picote, je crois que ça s'appelle l'envie de pleurer. J'ai raté deux fois mon bus à cause de la parade de ce putain de Père Noël sur Georgia Street, ce qui fait que j’étais en retard au boulot et ça a été un bon prétexte pour fondre en larmes. 

En vrai, je pleurais parce que j'avais le sentiment d'être loin pour la toute première fois. Ma mère, mes sœurs et ma cousine passaient le week-end ensemble à Paris. Ma meilleure amie israélienne fêtait son arrivée en France avec mes amis à moi. Mes anciens colocs se retrouvaient à Lyon entre deux escapades au bout du monde. Et moi je regardais tout ça sur l’écran de mon iPhone, me sentant complètement seule dans cette mascarade commerciale sans aucun sens qu’est Noel dans une grande ville qui n'est même pas la mienne.

En fin de journée, les heures et les heures de déviations, de bouchons et de changement de bus pour rejoindre mon deuxième travail ont eu raison de ma santé mentale. Ratatinée de fatigue, j'ai sauté hors du premier bus pour acheter une boite de 10 Donuts à Tim Hortons, que j'ai mangé dans leur intégralité pour éponger mes larmes de rage et étouffer mes injures a l'encontre de ces troupeaux de familles heureuses qui gambadaient dans les rues. 

Dans le deuxième bus, j’ai fait la rencontre d'un bellâtre de Toronto complètement défoncé. Mais alors que je m’empiffrais en râlant sous ses encouragements bienveillants ("That's goooood, buddy. That’s Canadian Food!"), un nouvel événement vint s'ajouter a tous les événement nuls de cette journée pourrie. Car a cet instant précis eu lieu le premier meurtre de 2013 à Vancouver. Alors que tout le monde était sous pression a cause de la parade du Père Noel qui nous a foutu un bordel pas possible, un homme s‘est fait tirer dessus, flinguant au passage mon idéal canadien d'êtres humains trop sympa pour être touchés par le vice. 

Et ralentissant encore plus la circulation à cause des contrôles de police.

Vue d'ensemble de la maison au travail

Zoom sur la parade du centre-ville
En bleu : itinéraire habituel (20 minutes)
En rose : itinéraire qui a conduit a ma perte (2h20)
NB: la prochaine fois, descendre du bus et marcher

Menfin, contrairement à la malheureuse victime, je suis arrivée à temps chez moi pour sauter dans mes vêtements du soir et courir jusqu’au restaurant. Ce qui en soit, est une source de réjouissance (je suis en vie, et pas lui). On trouve du réconfort ou l’on peut, n’est-ce pas ?

J'ouvre ici une parenthèse pour parler de mes 3 uniques oripeaux, portés jour après jour dans un seul et même mouvement monotone quotidien : le matin, je passe de mon lit à mon uniforme de chercheuse de sponsors au centre commercial - l'après-midi, je passe du bus à mon uniforme d'hôtesse d'accueil au resto - la nuit, je passe du restaurant à mon pyjama de fille qui s’écrappoutie dans son lit. Et puis je recommence comme ça jusqu'à mon unique jour de congé, ou je dois laver ces vêtements pour la semaine qui reprend.

3 styles, 1 pantalon
J'ai un peu la sensation de vivre une seule et longue journée de 6 jours, voyez.

Bref, une fois n’est pas coutume, parlons un peu de la réalité de Vancouver, en dehors de son époustouflante beauté qui me rappelle à chaque minute pourquoi je suis là.

Dans "Mange-Prie-Aime", Liz et ses amis italiens s’amusent à trouver le mot qui défini le mieux leur ville. New York serait le mot « réussir ». Rome serait « sexe ». Et bien Vancouver en un mot, sans hesiter, ce serait "travailler ».

Si la plus grande ville de l’ouest canadien est classée comme l’une des meilleures villes ou habiter sur cette planète, c’est aussi l’une des villes les plus chères au monde. Un peu comme Grenoble, les terres constructibles sont limitées par la ceinture de montagnes qui l'entoure, lui donnant tout son cachet mais la rendant de plus en plus inaccessible.

Alors bien sûr, il y a des gens qui travaillent 14h par jour et gagnent assez bien leur vie pour avoir la sensation de travailler pour quelque chose. C'est l'Amérique tout de même, et tôt ou tard travailler fini par (bien) payer. Mais quand tu es immigré, tu te dois de commencer tout en bas et, si tu survis a ta première année misérable, alors il parait que les porte s'ouvrent sur les escaliers qui mènent a une vie descente, puis confortable, et peut être, qui sait : aisée.

Aujourd’hui toutefois, je suis tout en bas. Je suis le petit bout de charbon brûlé qui ramasse des paillettes inutiles dans une petite pièce oubliée du reste de la société. Mes études ne servent à rien et on se fiche pas mal de savoir d'où je viens. La seule chose rassurante est de savoir que je ne suis pas le seul petit bout de charbon, nous sommes tout plein de jeunes et de moins jeunes, plein de diplômes, de compétences diverses et d’énergie qui essayons de tirer notre épingle du jeu pour faire partie de ce pays.

Extrait du Voyage de Chihiro
Prise de conscience saisissante sur la signification réelle
de ce passage du chef-d'oeuvre des studios Gibli


Julie est journaliste, elle sort d’une grande école et a lancé deux journaux dans l’ouest français avant d’arriver ici et de se retrouver à vendre des fringues et des baguettes pendant un an et demi.

Mon ancien patron était un designer hypra populaire en Italie, il roulait sur l’or et dans des voitures de sport à travers Rome et Milan, ou il possédait deux appartements. En arrivant au Canada, il faisait la vaisselle dans un café avec un patron tyrannique (« comme toi », m’avait-il précisé une fois).

Greg est ingénieur dans les énergies renouvelables depuis cinq ans, mais avec la crise il est obligé de ramasser les miettes avec moi au resto, le temps de retrouver un emploi.

Alexis est étudiante, et lorsqu’elle n’est pas à l’université elle cumule deux petits boulots (l’un les soirs de semaines, l’autre le week-end). « C’est le prix à payer pour pouvoir vivre chez moi » m’expliquait-elle le plus naturellement du monde, alors que je poussais de hauts cris d’indignation.

La plupart de mes collègues sont mineures et consacrent déjà tous leurs temps libres au travail. Ça me laisse perplexes, moi française, qui écoute le matin sur France Inter les débats sur « l’obligation de repos dominical ».

Je leur explique que chez nous, les étudiants ont des bourses, des aides aux logements, qu’on a le droit au chômage, que du coup on n’est pas forcés de mener cette vie de fou. Mais eux n'ont pas l'air de considérer leur vie comme une vie insensée. « Honnêtement si je ne travaillais pas, je ne saurais pas quoi faire de mon temps libre » me disait l’autre jour Yukari, qui travaille 18 heures par jour le week-end.

Bref, on est en occident, mais je réalise que je n'ai pas besoin de partir au fin fond du delta du Mékong pour me sentir étrangère. Je regarde parfois ces gens qui me ressemblent mais qui n'ont vraiment rien à voir avec moi, en me demandant s'il est possible d'immigrer vraiment, d'embrasser une nouvelle culture définitivement. D'oublier d'ou l'on vient pour adopter un nouveau style de vie. 
Cette immersion au Canada est sans aucun doute l'expérience qui me fait le plus grandir, bien plus que mon tour d'Asie en solitaire, bien plus que les shots d'expériences temporairement dépaysantes que l'on s'autorise en voyageant quelques jours, quelques semaines ou quelques mois.

En revanche, je ne me plains pas. J'ai choisi d'être ici, alors je fais profile bas et j'absorbe ces tonnes de nouvelles choses pour me fondre dans le décor, pour en faire partie intégrante. La pire des galères est tout de même palpitante. C'est une galère en VO, c'est une galère au Canada, un truc qu'on ne vit qu'une fois.

Alors pour rester dans le ton, Noel cette année, je le célèbre au travail. La semaine prochaine on décor le sapin au resto. Dans 10 jours, on fait une soirée de Noel au journal. Le Père-Noel passe souvent nous voir au centre commercial. Et je travaillerai le soir du réveillon. 

On est en décembre, et je travaille a plein temps. Je ne suis pas si seule, finalement.