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jeudi 25 septembre 2014

Amadouer un douanier


Un soir où mon père s'était vu confisquer par des douaniers canadiens les saucissons, foie gras et fromages français qu'il avait tenté de ramener au Québec pour les fêtes, il m'avait demandé, furieux : "qu'y a-t-il de plus con qu'un douanier?" - et, alors que je réfléchissais à une réponse valable, il s'était répondu à lui-même : "DEUX douaniers!". 

C'est vrai qu'on ne plaisante pas avec ces gens-là. Il exercent l'une de ces professions de plein pouvoir inventées dans le seul but de t'emmerder, tout comme les hôtesses de l'air low-cost (pour ne citer qu'elles). Mais il y a une catégorie de douanier qui dépasse haut la main toute famille de douanier dans le monde entier : ce sont les douaniers israéliens. 

La première fois que j'avais voulu sortir du pays, je m'étais faite interroger quinze minutes par une douanière odieuse (tout le monde sait que la catégorie féminine de n'importe quelle métier est toujours la plus intransigeante, mais attendez un peu de rencontrer une douanière israélienne) qui avait fini par me livrer aux services de sécurité, certaine que je me trimbalais avec des explosifs. 

Mais cette fois, je suis partie le soir du réveillon de la nouvelle année hébraïque. Pour une raison inconnue, seuls travaillaient cette nuit-là de superbes bellâtres israéliens aux yeux bleus, à la peau matte et au dos puissant bien moulés dans leur chemise de douanier. Aucune femme intransigeante en vue, aucun vieux suspicieux. Que des jeunes et magnifiques jeunes gens, plutôt enclins à te faire des sourires et des blagues qu'à savoir ce que tu viens faire chez eux. 

Alors je quittais Tel-Aviv et je pleurais comme une madeleine. Tous mes plans étaient tombés à l'eau et je venais d'apprendre que ma correspondance à Bruxelles avait été annulée, augmentant de 5h mon voyage non désiré et déjà beaucoup trop long. C'était minuit, j'étais démaquillée, prête pour la nuit dans l'avion, recouverte de Biafine (vous-ai je parlé de ma sieste sur la plage quelques heures plus tôt ?), les yeux tout rougis par les larmes et l'humeur massacrante. 

Du moins telle était mon état en sortant du taxi, dont le chauffeur déprimé m'avait raconté pendant 25 minutes sont récent divorce et l'éloignement de ses enfants (on a pleuré ensemble en se souhaitant "bonne année").

Moche et d'une humeur massacrante, donc, en passant la porte de l'aéroport Ben Gurion.

Mais, de douanier en douanier, de créature souriante en créature souriante, mon humeur a changé. Dieu voulait-il à tout prix que je prenne cet avion? Était-ce donc pour cela que tout était tombé à l'eau ; pour le simple plaisir de dévorer des yeux ces jeunes gens ravissants? Dieu serait-il donc tant attaché à ces futilités? Qu'importe son dessein, je me faisais fouiller une troisième fois, assise, attendant patiemment qu'un nouvel Apollon passe chacune de mes affaires au peigne fin, jusqu'à ce qu'enfin je récupère mon sac. 
Mais au moment de me rendre mon passeport, il a retiré son gant en plastique, a tendu sa main pour attraper la mienne (devant tous ses confrères magnifiques) et m'a ordonné, avec le ton ferme d'un douanier israélien : "Je finis dans 1/2h. Donne moi ton numéro et je te rejoins". 

J'étais abasourdie. Et puis, on ne refuse rien à un douanier - j'ai donc donné mon numéro en rigolant comme une ado, depuis quand les douaniers sont-ils aussi désinvoltes, qu'est ce que c'est que cette situation absurde ?! 

Trente minutes plus tard, il m'a rejoint dans la salle d'embarquement (il avait noté le numéro de ma porte dans le creu de sa main). Il ne parlais presque pas anglais, mais il a attendu avec moi jusqu'à ce que je m'en aille en répétant en hébreu que nakhon, c'est la première fois qu'il fait ça, mais il adore l'accent français et puis je suis vraiment trop yaffah (et moi, ravie, les yeux encore bouffis et la Biafine qui luit sur le visage, mon ego redoré pour les 3 prochaines années). 

Ce pays n’arrêtera jamais de me surprendre.
 "Tu reviens quand ?" m'a demandé Apollon. 
Très vite. Promis.

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