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mardi 23 septembre 2014

Run

Je suis sur le toit d’un immeuble de Haïfa.
On mange avec nos doigts les spécialités yemenites cuisinées ensemble, enfoncés dans les vieux canapés un peu crados, posés-là par les locataires de passage. Un verre de vin à la main, l'éternel joint qui tourne entre nous, et les discussions qui commencent en anglais mais qui finissent toujours en hébreu, accroche-toi pour les suivre.

Tal était en Inde après l'armée, c’est sûrement elle qui a ramené ces tissus colorés et un peu râpés qui recouvrent les fauteuils éliminés. Elle raconte que ce jour-là, dans la salle commune de l’auberge de jeunesse, un palestinien en voyage avait découvert qu’elle était israélienne. “Si on avait été chez nous, je t’aurais tuée” lui avait-il dit calmement, lui qui quelques secondes plus tôt avait été charmant.

Tal n’est pas vraiment choquée, elle est habituée. “Ils vivent comme des chiens, on leur a tout pris. Ils ont toutes les raisons de nous détester. Mais je ne comprend pas pourquoi il a eu besoin de ramener toute cette haine si loin de chez nous, pourquoi il l’a cristallisée sur moi”.

Je suis en camping dans le nord de la Gallilée, tout prêt de la frontière syrienne.
On est tous les deux, seuls au monde, on se réveille avec un café turque prépare au réchaud, les pieds dans l’eau. Une bombe tombe quelque part au loin, ça fait trembler le sol. Les oiseaux se taisent. Le temps s'arrête ; l'armée réplique aussitôt en tirant trois, quatre fois, puis le sol tremble encore. Le début d’une guerre ? Un avion abattu en vol ? Une roquette égarée ? Les bombardements durent presque 30 minutes, et lui qui reconnaît chaque bruit, qui ne s'inquiète pas. Il allume son téléphone, ouvre l’application d’alerte (normal). “Pas de guerre déclarée pour l’instant, c’est peut-être juste un entraînement”. Sirote son café les pieds dans l’eau.

Je suis à Tel-Aviv et je lis les infos. L”État Islamiste appelle ses fidèles à tuer des “sales français”. Un homme se fait enlever. Tous les pays du Proche et Moyen-Orient passent sur liste rouge et l’ambassade encourage ses citoyens à ne pas trop y traîner. Mon avion pour Istanbul décolle dans 3 jours et je suis terrorisée ; tout ça me dépasse, ce n’est pas ma réalité. J’en fait part à mes amis israéliens qui me répondent tranquillement : “il n’y a rien de pire que le terrorisme. C’est normal que tu ais peur. Si je n'étais pas en Israel, j’aurais peur moi aussi”.

Ils vivent avec la menace terroriste au quotidien. Ils sont nés et ont grandis avec cette réalité brutale : leurs voisins veulent les tuer. Pour eux, le monde n’est pas un endroit sur. Pour moi il l'était ; jusqu'à hier matin. Pour eux c’est une menace parmi tant d’autres, pour moi c’est quelque chose qui s'écroule.

Je ne crois pas vraiment a ce que racontent les médias. Je n’ai pas peur de grand chose dans la vie. Mais j’ai été victime de la haine d’un être humain envers moi, une fois ; j’ai été séquestrée et frappée, et pas par des “méchants arabes”, et pas dans un endroit présumé craignos. Je sais que cette menace-là, la haine pure et simple, le désir aveugle de vengeance, existe concrètement. C’est une menace réelle et directe qui nous concerne tous, ou que nous soyons dans le monde. C’est une réalité, et je l’approche d’un peu trop près. J’aurais aimé ne pas savoir.

Quand j'étais petite, mon papa me racontait l’histoire du Lapin Coquin. Il s'éloignait trop loin du terrier et, chaque soir, il lui arrivait des aventures pas possibles, il finissait toujours par rentrer au galop se protéger du monde. La moralité c'était : “il faut toujours, toujours écouter sa maman”.

Maman, je rentre au terrier. J’en ai trop vu ces trois dernières années. J’ai le tournis, et j’ai peur. Je veux retrouver un quotidien qui m'étourdira d’habitudes, de veux m'énerver pour un métro en retard, pour une grève des contrôleurs, pour le prix de l’essence. Je veux oublier, un moment, que dehors c’est violent.


L'abri anti-missile en bas de la maison
En cas de danger, courrez

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