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samedi 11 janvier 2014

Ce qui ne tue pas te rend plus fort

Il y a un truc vraiment horrible dans la vie, l’un des trucs les plus horribles qui puisse t’arriver, c’est de te faire plaquer par la personne que tu adores.

Le jour où ça t’arrives, c’est un jour comme tous les autres, personne ne t’as rien dit, tu n’as rien vu venir, et PAN : tu te le prends dans la gueule. Parce que tu n’étais pas préparé, parce que ça fait un mal de chien, parce que tu refuses d’accepter la réalité qui est trop moche et trop triste, il se passe quelque chose d’encore plus moche : tu deviens pathétique.

Tu sais, c’est quand tu es prêt à faire la lessive de la nouvelle meuf de ton ex, juste pour pouvoir exister encore un peu dans sa vie. Pour qu’il ne disparaisse pas complètement de la tienne. Pour que le dernier espoir ne s’envole pas, emportant avec lui un énorme morceau de toi que te ne retrouveras jamais.

Alors ce jour-là, il pleuvait comme il pleut à Vancouver : une chute d’eau invraisemblable, c’était une tempête de pluie qui balayait la Colombie-Britannique de gouttes d’eau grosses comme des billes. Il faisait déjà nuit alors qu’on était le matin, un jour comme tous les autres, en somme. Je trempais mon croissant dans mon bol de café, et puis mon téléphone a sonné.

C’était lui. C’était l’homme avec qui je m’imaginais passer ma vie ici, celui qui tenait dans ses mains mon destin tout entier. C’était le patron de l’agence de communication absolument trop cool qui m’avait reçue pour un entretien quelques jours plus tôt. Tout avait été si parfait, je croyais que cette fois c’était la bonne, mais voilà : il a rencontré quelqu’un d’autre, quelqu’un qui correspond mieux à ce qu’il recherchait. Ce n’est pas de ma faute, me dit-il dit. Je suis une personne géniale, et il connait mes qualités. Il est content de m’avoir rencontré, ajoute-t-il encore, alors que mon croissant tombe en miettes dans la noirceur de mon café. On se recroisera peut-être, qui sait. Il me souhaite tout le meilleur pour la suite.

Et il a raccroché. C’était fini.

La douche que les nuages bas et noirs déversaient sur la ville n’était rien comparée a celle que je venais de me prendre par téléphone. C’est alors que le Ciel s’est fendu et, dans un éclair aveuglant, Dieu a pointé son doigt sur moi et m’a dit d’une voix forte : « Tu resteras dans ton boulot de merrrrrrrrde ».

Et dans son écho qui résonna encore de longues secondes, j’entendis murmurer « Et tu n’auras jamais ton visa ! Et tu devras partir ! Parce que tu es NULLE ! ».

Apres un échec pareil, un français remonterait dignement sur son cheval et, sans se retourner, partirait a la chasse à l’emploi, parce qu’un de perdu dix de retrouvés dit-on, et qu’on n’a pas de temps à perdre avec ce connard qui veut pas de nous, il ne sait pas ce qu’il perd, le con !

Mais ici vous le savez, nous sommes au Canada. Et devinez un peu, je vous le donne en mille : un canadien ne réagit pas comme un français. Ce que j’appelle dignité, ils appellent ça faiblesse. Ce que j’appelle pathétique, ils appellent ça déterminé.

Je m’explique.

Lorsque j’ai annoncé à mes amis canadiens que je n’avais pas fait le poids face à mon concurrent canadien, TOUS ont répondu que ce n’est pas grave, rappelle-les et dit leur que tu veux quand même travailler avec eux, même gratuitement, on commence quand ?

En gros, pour revenir à la métaphore de la rupture, c’est un peu comme si tous mes amis m’encourageaient a rappeler mon mec pour lui dire :
« Tu viens de me quitter pour une autre mais ce n’est pas grave mon chéri, je ne t’en veux pas. Je t’aime toujours. Je t’aime tellement que je veux bien qu’on se voit de temps en temps, rien qu’une fois par semaine, je te demanderai rien, je te paierai même l’hôtel si tu veux. Dis oui. S’il te plait. ».

Bref, il semblerait que personne ici ne comprenne que j’aimerais bien éviter d’être pathétique SVP. J’ai tenté d’expliquer le truc aux copains, que bon je n’avais pas vraiment besoin de ça en ce moment, si au moins je pouvais garder ma dignité ce serait bien voyez, et ils ont dit qu’ils ne voyaient pas le rapport.

Pour un canadien, rappeler le patron qui vient de me recaler, ça n’a rien de pathétique. Au contraire, c’est la preuve que je suis motivée et combative. En gros, c’est comme si je rappelais mon mec pour lui dire :
« Tu viens de me quitter pour une autre, d’accord c’est ton choix, et je le respecte. Mais je vais te prouver que tu as eu tort. Je vais me rendre indispensable et quand tu verras à quel point je suis géniale, c’est toi qui me supplieras de rester. Et crois-moi mon mignon, je vais gagner ».

Parce que les canadiens sont des winners, c’est l’esprit nord-américain ça, c’est leur passé de cow-boy. Tu veux quelque chose ? Va le chercher. Ne lâche rien. Ne te décourage jamais. Quand on veut on peut. La fin justifie les moyens. Enfin vous saisissez, quoi.

C’est incroyablement motivant.

Alors c’est ce que j’ai fait, j’ai laissé tomber mon drap de dignité, je me suis retrouvée a poil, sans plus rien à perdre. J’ai écrit ce mail pathétique combatif pour essayer d’obtenir ce que je veux vraiment : travailler dans cette agence beaucoup trop cool, et m’éloigner doucement de ma vie de souillon (je veux dire, d’hôtesse de restaurant).

Alors telle que vous me voyez-la, je joue au cow-boy, avec de la fausse barbe et cachée sous mon chapeau, je fais comme si j’étais sur de ce que je faisais alors qu’en fait j’apprends, je ne sais rien. J’attends.

Je vous tiens au courant.

1 commentaire:

  1. J'adore le choc culturel !! Ça ne m'aurait pas venu à l'esprit de rappeler quelqu'un qui vient de me recaler... J'attends la suite avec impatience, en espérant que tu n'aies pas à travailler gratuitement...

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