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samedi 11 octobre 2014

Parler aux inconnus

La plus terrible incarnation de Paris se trouve dans le métro : vétuste, puant, rempli de personnes indifférentes et impolies, et théâtre des populations que l'on prend soin d'enterrer : les immigrés, les poivrots, les mendiants, les voleurs, et j'en passe et des meilleurs. Tous ces gens qui font Paris se mêlent aux parisiens pressés, trop occupés à leurs propres vies pour lever le nez sur la vie des autres qu'ils ignorent, enjambent et bousculent sans scrupule. Les kilomètres de réseaux souterrains épuisent et assombrissent, et quiconque arrive d'ailleurs sera choqué de l'absence totale d'interactions humaines dans les bas-fonds grouillants de la Capitale de l'Amour.

Et pourtant. J'étais de passage à Paris, et j'avais encore cette indulgence propre à celle qui est trop étrangère pour être touchée par la morosité ambiante. Je gambadais dans la ville en faisant fi de la pluie, des travaux et des foules, parce que je ne travaillais pas, parce que j'avais le temps, et j'observais les gens en écrivant sur eux. Cette activité m'obligeait à lever les yeux parfois sur ces personnes que l'on croise sans vraiment les regarder.

Ce soir-là j'ai levé les yeux sur un jeune homme noir et ravissant, jogging et sac de sport, regard tendre et insistant, le genre de regard qui te fais rougir un peu. J'ai continué à écrire en cachant ma confusion mais bien sur, il m'avait vue. Nous sommes sorti au même arrêt, et il m'a tendu son bras
- vous m'accordez cette danse ?
La question n'avait aucun sens. Il n'y avait même pas l'un de ces musiciens qui animent parfois les couloirs. Il n'y avait rien que la foule qui se précipitait dans chacune des sorties, le vacarme, la chaleur, rien qui ne fasse danser.
- pourquoi? Lui ai-je demandé bêtement
- pourquoi pas? A répliqué l'étranger, la main toujours tendue vers moi pour m'inviter à danser.

Après tout c'est vrai, pourquoi ne pas danser avec un homme inconnu en jogging dans les couloirs assourdissants du métro parisien? J'ai posé mes sacs et mis ma main dans la sienne. Il s'est mis en position sans dire un mot, levant les yeux au ciel à la recherche d'une chanson pour danser. Il a choisi la chanson d'Aurore, il s'est mis à chanter : mon amour je t'ai vu au beau milieu d'un rêve et on a valsé comme ça devant les gens médusés qui attendaient le métro d'après.

Puis, abandonnant ses faux airs de princesse, il m'a portée, j'ai virevolté d'une épaule à l'autre, j'étais bébé dans Dirty Dancing, sauf que j'avais jamais dansé.

Voilà, la chanson était finie. Il a fait une révérence, et il est parti.


Avant de partir, mon Prince m'a tendu une carte de visite.
Et parce que je suis une Princesse moderne, je l'ai retrouvé sur Internet

jeudi 2 octobre 2014

Politiquement incorrect

Au bout de quelques jours sur les routes du nord d’Israël avec lui, j'ai remarqué qu'il ne gueulait jamais sur personne au volant. Je lui ai demandé : "tu gueules jamais sur personne au volant ?" Et il m'a répondu : "pour quoi faire ?".

Je sais pas. Parce qu'ils avancent pas, parce qu'ils mettent pas le cligno, parce qu'ils traversent n'importe où, parce que ce feu est trop long. Il y a plein de bonnes raisons, j'ai dis. 
Il a demandé si en France on gueulait. "Bien sur qu'on gueule, on parle souvent tout seul dans la voiture, et on s'adresse aux gens par leur numéro de département". Il ne comprenait pas, j'ai donné un exemple concret "il va la bouger sa caisse, le 38 ?!".
Il comprenait toujours pas. 

Je lui ai expliqué patiemment qu'en France on avait des départements et que chaque département avait ses spécificités, ces dernières dépendant bien entendu de quel département on se place, par exemple pour un montpellierain (34) les nîmois (30) sont des cons, les parisiens (75) sont des cons, les marseillais (13) des abrutis, etc. 

Il m'a demandé pourquoi on ne s'aimait pas comme ça, après tout on était tous français, en Israël il n'a jamais vu ça. Je me suis dit qu'à Haïfa on avait beau être sur la côte méditerranéenne, on avait beau être dans le sud, ben on était quand même pas du même monde.

Cette histoire de plaque d'immatriculation, par exemple. Ça a l'air de rien comme ça pour vous, si vous avez toujours vécu en France. Vous ne savez pas à quel point les plus petits détails de votre quotidien peuvent vous manquer, quand vous êtes loin. Depuis que je suis rentrée au pays, je fais le plein de ces choses-là, les trucs que je voyais pas avant, les événements sans importance qui me font sentir chez moi.

Par exemple, cet été je suis allée à Marseille. Je me baladais dans le quartier du Vieux Panier avec des copains. Au moment de traverser, une voiture a failli nous écrapoutir en reculant sans regarder. Les filles ont tapé sur le coffre en criant : "Regarde ce que tu fais, CONNARD !!!", et le connard a répliqué comme il se doit, en gueulant des trucs épouvantables, fenêtre ouverte et toutes mains dehors.

Et qu'est ce que je me suis empressée de faire, d'après vous ? J'ai regardé sa plaque.
Un 30, bien entendu. L'occasion rêvée de prolonger ce moment de grâce vernaculaire en lui lançant : "Baisse d'un ton le nîmois, et apprend à conduire !", ce à quoi l'homme a rétorqué, hors-de-lui : "le nîmois, IL T'EMMERDE !!!".

Le choix des mots, la mise en scène, les références, tout était parfait. Il y avait cette lumière d'été, le mistral qui nous décoiffait, l'odeur des fruits de mer qui se mêlait à l'odeur des savons de Marseille étalés sur le port. Il y avait le nîmois, avec sa plaque 30 et sa conduite absurde, et il y avait les copains qui gueulaient. 

J'ai oublié un instant pourquoi j'étais partie.

Si tu lis ces propos et que tu es choqué, c'est sûrement que tu ne vis pas
 près de la Méditerranée. Gentil lecteur, sois rassuré : il n'y avait pas de haine
dans ces échanges,c'était juste du folklore, c'était juste du plaisir.
C'est juste que c'est comme ça qu'on fait. 

jeudi 25 septembre 2014

Amadouer un douanier


Un soir où mon père s'était vu confisquer par des douaniers canadiens les saucissons, foie gras et fromages français qu'il avait tenté de ramener au Québec pour les fêtes, il m'avait demandé, furieux : "qu'y a-t-il de plus con qu'un douanier?" - et, alors que je réfléchissais à une réponse valable, il s'était répondu à lui-même : "DEUX douaniers!". 

C'est vrai qu'on ne plaisante pas avec ces gens-là. Il exercent l'une de ces professions de plein pouvoir inventées dans le seul but de t'emmerder, tout comme les hôtesses de l'air low-cost (pour ne citer qu'elles). Mais il y a une catégorie de douanier qui dépasse haut la main toute famille de douanier dans le monde entier : ce sont les douaniers israéliens. 

La première fois que j'avais voulu sortir du pays, je m'étais faite interroger quinze minutes par une douanière odieuse (tout le monde sait que la catégorie féminine de n'importe quelle métier est toujours la plus intransigeante, mais attendez un peu de rencontrer une douanière israélienne) qui avait fini par me livrer aux services de sécurité, certaine que je me trimbalais avec des explosifs. 

Mais cette fois, je suis partie le soir du réveillon de la nouvelle année hébraïque. Pour une raison inconnue, seuls travaillaient cette nuit-là de superbes bellâtres israéliens aux yeux bleus, à la peau matte et au dos puissant bien moulés dans leur chemise de douanier. Aucune femme intransigeante en vue, aucun vieux suspicieux. Que des jeunes et magnifiques jeunes gens, plutôt enclins à te faire des sourires et des blagues qu'à savoir ce que tu viens faire chez eux. 

Alors je quittais Tel-Aviv et je pleurais comme une madeleine. Tous mes plans étaient tombés à l'eau et je venais d'apprendre que ma correspondance à Bruxelles avait été annulée, augmentant de 5h mon voyage non désiré et déjà beaucoup trop long. C'était minuit, j'étais démaquillée, prête pour la nuit dans l'avion, recouverte de Biafine (vous-ai je parlé de ma sieste sur la plage quelques heures plus tôt ?), les yeux tout rougis par les larmes et l'humeur massacrante. 

Du moins telle était mon état en sortant du taxi, dont le chauffeur déprimé m'avait raconté pendant 25 minutes sont récent divorce et l'éloignement de ses enfants (on a pleuré ensemble en se souhaitant "bonne année").

Moche et d'une humeur massacrante, donc, en passant la porte de l'aéroport Ben Gurion.

Mais, de douanier en douanier, de créature souriante en créature souriante, mon humeur a changé. Dieu voulait-il à tout prix que je prenne cet avion? Était-ce donc pour cela que tout était tombé à l'eau ; pour le simple plaisir de dévorer des yeux ces jeunes gens ravissants? Dieu serait-il donc tant attaché à ces futilités? Qu'importe son dessein, je me faisais fouiller une troisième fois, assise, attendant patiemment qu'un nouvel Apollon passe chacune de mes affaires au peigne fin, jusqu'à ce qu'enfin je récupère mon sac. 
Mais au moment de me rendre mon passeport, il a retiré son gant en plastique, a tendu sa main pour attraper la mienne (devant tous ses confrères magnifiques) et m'a ordonné, avec le ton ferme d'un douanier israélien : "Je finis dans 1/2h. Donne moi ton numéro et je te rejoins". 

J'étais abasourdie. Et puis, on ne refuse rien à un douanier - j'ai donc donné mon numéro en rigolant comme une ado, depuis quand les douaniers sont-ils aussi désinvoltes, qu'est ce que c'est que cette situation absurde ?! 

Trente minutes plus tard, il m'a rejoint dans la salle d'embarquement (il avait noté le numéro de ma porte dans le creu de sa main). Il ne parlais presque pas anglais, mais il a attendu avec moi jusqu'à ce que je m'en aille en répétant en hébreu que nakhon, c'est la première fois qu'il fait ça, mais il adore l'accent français et puis je suis vraiment trop yaffah (et moi, ravie, les yeux encore bouffis et la Biafine qui luit sur le visage, mon ego redoré pour les 3 prochaines années). 

Ce pays n’arrêtera jamais de me surprendre.
 "Tu reviens quand ?" m'a demandé Apollon. 
Très vite. Promis.

mardi 23 septembre 2014

Run

Je suis sur le toit d’un immeuble de Haïfa.
On mange avec nos doigts les spécialités yemenites cuisinées ensemble, enfoncés dans les vieux canapés un peu crados, posés-là par les locataires de passage. Un verre de vin à la main, l'éternel joint qui tourne entre nous, et les discussions qui commencent en anglais mais qui finissent toujours en hébreu, accroche-toi pour les suivre.

Tal était en Inde après l'armée, c’est sûrement elle qui a ramené ces tissus colorés et un peu râpés qui recouvrent les fauteuils éliminés. Elle raconte que ce jour-là, dans la salle commune de l’auberge de jeunesse, un palestinien en voyage avait découvert qu’elle était israélienne. “Si on avait été chez nous, je t’aurais tuée” lui avait-il dit calmement, lui qui quelques secondes plus tôt avait été charmant.

Tal n’est pas vraiment choquée, elle est habituée. “Ils vivent comme des chiens, on leur a tout pris. Ils ont toutes les raisons de nous détester. Mais je ne comprend pas pourquoi il a eu besoin de ramener toute cette haine si loin de chez nous, pourquoi il l’a cristallisée sur moi”.

Je suis en camping dans le nord de la Gallilée, tout prêt de la frontière syrienne.
On est tous les deux, seuls au monde, on se réveille avec un café turque prépare au réchaud, les pieds dans l’eau. Une bombe tombe quelque part au loin, ça fait trembler le sol. Les oiseaux se taisent. Le temps s'arrête ; l'armée réplique aussitôt en tirant trois, quatre fois, puis le sol tremble encore. Le début d’une guerre ? Un avion abattu en vol ? Une roquette égarée ? Les bombardements durent presque 30 minutes, et lui qui reconnaît chaque bruit, qui ne s'inquiète pas. Il allume son téléphone, ouvre l’application d’alerte (normal). “Pas de guerre déclarée pour l’instant, c’est peut-être juste un entraînement”. Sirote son café les pieds dans l’eau.

Je suis à Tel-Aviv et je lis les infos. L”État Islamiste appelle ses fidèles à tuer des “sales français”. Un homme se fait enlever. Tous les pays du Proche et Moyen-Orient passent sur liste rouge et l’ambassade encourage ses citoyens à ne pas trop y traîner. Mon avion pour Istanbul décolle dans 3 jours et je suis terrorisée ; tout ça me dépasse, ce n’est pas ma réalité. J’en fait part à mes amis israéliens qui me répondent tranquillement : “il n’y a rien de pire que le terrorisme. C’est normal que tu ais peur. Si je n'étais pas en Israel, j’aurais peur moi aussi”.

Ils vivent avec la menace terroriste au quotidien. Ils sont nés et ont grandis avec cette réalité brutale : leurs voisins veulent les tuer. Pour eux, le monde n’est pas un endroit sur. Pour moi il l'était ; jusqu'à hier matin. Pour eux c’est une menace parmi tant d’autres, pour moi c’est quelque chose qui s'écroule.

Je ne crois pas vraiment a ce que racontent les médias. Je n’ai pas peur de grand chose dans la vie. Mais j’ai été victime de la haine d’un être humain envers moi, une fois ; j’ai été séquestrée et frappée, et pas par des “méchants arabes”, et pas dans un endroit présumé craignos. Je sais que cette menace-là, la haine pure et simple, le désir aveugle de vengeance, existe concrètement. C’est une menace réelle et directe qui nous concerne tous, ou que nous soyons dans le monde. C’est une réalité, et je l’approche d’un peu trop près. J’aurais aimé ne pas savoir.

Quand j'étais petite, mon papa me racontait l’histoire du Lapin Coquin. Il s'éloignait trop loin du terrier et, chaque soir, il lui arrivait des aventures pas possibles, il finissait toujours par rentrer au galop se protéger du monde. La moralité c'était : “il faut toujours, toujours écouter sa maman”.

Maman, je rentre au terrier. J’en ai trop vu ces trois dernières années. J’ai le tournis, et j’ai peur. Je veux retrouver un quotidien qui m'étourdira d’habitudes, de veux m'énerver pour un métro en retard, pour une grève des contrôleurs, pour le prix de l’essence. Je veux oublier, un moment, que dehors c’est violent.


L'abri anti-missile en bas de la maison
En cas de danger, courrez

dimanche 21 septembre 2014

If you jump I jump

L'autre soir, c'était un de ces soirs où tu regardes Titanic pour la 24ème fois, avec une bouteille de pinar sur la table basse. Autant vous dire que ce soir-là, j'avais le moral à zéro.

Je regardais Rose et Jack tomber amoureux avec l'intensité d'une première fois, en me disant que les relations dans la vie se passaient en 2 temps : il y a la première fois, puis il y a toutes les autres. 

Ce constat m'a achevée. Je me suis resservi un verre alors que Rose sautait du canot de sauvetage pour retourner sur le paquebot avec l'homme qu'elle aime, parce que quand c'est la première fois plutôt mourir que de vivre sans lui. Ce que Rose ignore alors, c'est que si par chance elle survivait à l'impitoyable naufrage de leur amour, à la douleur d'un coeur coupé en deux et aux profondeurs glacées du désespoir, elle n'aurait ensuite et pour le reste de sa vie qu'une seule certitude : personne n'est indispensable, alors autant monter dans le canot et sauver sa peau (Jack était un type bien, mais faut quand même pas déconner). 

Alors tu as 30 ans et tu es célibataire. Tu regardes les gens en couple en te disant que c'est bien triste : l'amour ne ressemble plus à ce que tu vois dans les films. Tes amis sont trop vieux : ils ont tous vécu un naufrage et ils s'en sont sorti, alors pour eux hors de question de prendre le risque de remonter dans un bateau (aussi génial soit-il). Parce que tes amis survivants n'ont qu'une idée en tête : rester dans le canot de sauvetage, après tout c'est confortable et puis comme ca, jamais rien d'affreux ne pourra plus leur arriver. 

Alors tu as 30 ans, et tu es célibataire. Tu crois encore bêtement que l'amour triomphe toujours, mais il faut te faire à l'idée que ce n'est plus vrai. Pas pour les naufragés. Pas pour les frileux. Seuls les braves et les innocent pensent encore comme toi, mais les braves sont trop rares et les innocent trop jeunes. Ne restent alors que les handicapés des sentiments, les estropiés du coeur, ceux qui portent désormais une armure impénétrable, ou dont les émotions n'ont jamais pu décongeler après le naufrage. Tu dois dealer avec ces pauvres victimes, toi qui en est une aussi mais qui pense que prendre des risques ça fait partie de la vie, que ceux qui préfèrent la sécurité sont déjà à moitié morts. 

Et tu oberves, consternée, des personnes magnifiques s'enfermer dans une vie qui ne leur convient pas. Tu te demandes si un jour toi aussi, tu seras comme ça. Tu voudrais bien avoir 20 ans et mourir pour des idées, pourquoi pas : sauter du canot en prenant le risque de couler. Troquer ta voix contre une paire de jambes, en prenant le risque d'échouer. 

Bref tu as 30 ans, et t'as trop regardé la télé.

*si tu parles anglais, clique ici*

Et donc j'ai trouve ca sur Google Images, ca m'a rassuree de
savoir que 20 ans apres, on est encore nombreux a essayer
de trouver des solutions pour que le film finisse bien
(pour une fois)

lundi 15 septembre 2014

Apprendre

Apprendre une langue c'est une sorte de régression délicieuse. D'un côté, on est une grande personne qui apprend. On est vulnérable mais on est fier aussi, et il y a peu de choses plus satisfaisantes dans la vie que de voir ses progrès sur quelque chose qui paraissait impossible quelques temps auparavant.

Mais d'un autre, on est un enfant. On apprend à lire, à écrire et à parler. On dit des mots qui n'existent pas. On lit toutes les enseignes, on pose 12 000 questions tout le temps. On ne comprend plus grand chose aux conversations des grands.

Alors on recommence à zéro : on ouvre grands les yeux et les oreilles. On devine. On déduit. On se dit que ce son-là associé à cette tête-là ça doit vouloir dire ça, on note tout sur un petit carnet qu'on a acheté exprès. Des fois on tente un truc ; "mayim?" et tout le monde applaudi, les grands disent "bravoooo" et tu sais que tu as compris.

Et puis, comme dans ton pays tu es un adulte toi aussi, tu réalises qu'en fait tout est pareil ici et chez toi. Ce ne sont pas les mêmes mots mais ce sont les même gens, les même préoccupations, les même sentiments. Et les même références, aussi.

Ce matin-là c'était Shabbat. Dans la cuisine des parents de Naama, il y avait un exemplaire en hébreu du Petit Prince, et il était pour moi. Sur la première page son papa avait écrit un mot en lettres cursives, qui ressemblent à l'alphabet imaginaire que j'utilisais avec mes copines pour écrire des mots secrets à l'école.

J'ai déchiffré doucement, en bafouillant : "C'est avec le Petit Prince que j'ai appris l'italien. J'espère que cela marchera aussi bien pour toi avec l'hébreu".

Alors j'ai 6 ans et j'apprend à parler. Je suis le pilote français et je vis sur la planète de mon Petit Prince israélien. Et on se raconte la même histoire le soir avant de faire dodo : je lis un chapitre en français, il répète le chapitre en hébreu, et on compare les traductions en s'expliquant en anglais, en mimiques et en sons.

Ma maman a toujours dit qu'une langue s'apprend sur l'oreiller. On ne peut pas prendre ce conseil de plus près.

dimanche 8 juin 2014

Réalité

L'autre soir je suis allée boire un verre chez une amie. Elle vit dans un grand appartement typiquement montréalais, avec du parquet blond au sol et des murs tout blancs, de grandes fenêtres qui donnent sur la terrasse en briques rouges et des arbres qui cachent la vue, le linge étendu sur un fil au dessus de la ruelle. 4 chambres, une baignoire, une cuisine immense, et un loyer à moins de 300$ par colocataire.

Je suis rentrée là-dedans comme Ali baba dans la caverne, il y avait des choses accrochées sur les murs, de la musique classique, un chaton qui jouait dans le salon, assez d’ustensiles pour cuisiner et assez de place pour recevoir. Elle m’a fait visiter et j’étais comme dans un musée, même si en vrai c’est juste un appart habité par 4 colocs. Pas de meuble particulièrement classe ni rien d’impressionnant pour le commun des mortels, mais j’étais stupéfaite parce que cette visite m’a amené à comparer ma propre situation avec celle des gens que je côtoie quotidiennement. J’ai réalisé dans quelle genre de précarité matérielle je vis depuis 2011, date à laquelle j’ai tout plaqué pour la première fois afin de partir à l’aventure sur les routes du monde.

A cette époque, me débarrasser de tous mes meubles et avoir ma vie dans un Eastpack me semblait être la quintessence du luxe, le truc que tu ne peux pas acheter avec de l’argent mais rien qu’à la force de ta propre personnalité, j’appellerais ça la Liberté. J’ai quitté mon appartement de 90m2 à Lyon pour un placard insalubre parisien avec un loyer que je préfèrerais taire afin de ne choquer personne. Puis je suis sortie du placard pour dormir sur des hamacs, sur des canap, sur des matelas à la propreté douteuse en Asie du sud-est. C’était le début de la fin, et pendant 3 ans j’ai dormi dans des bus, sur des bateaux, sur des tapis bédouins au milieu du désert, mon sac à dos comme oreiller. J’ai désappris le confort, j’ai oublié mes habitudes, j’ai perdu petit à petit mes goûts, mes préjugés, mes peurs et mes exigences. J’ai arrêté de vivre sur un seul fuseau horaire, j’ai commencé à oublier les heures de repas, à ne manger que quand j’ai faim, ne me laver que quand j’y pense, et à ne travailler que quand j’en ai besoin.

Et puis l’autre jour je suis allé chez le médecin, la secrétaire m’a demandé ma profession.

“ça dépend”, ai-je répondu très sincèrement. Pas pour faire la maligne mais parce qu’à ce moment-là j’avais 4 emplois différents à Vancouver, sans parler de mon expérience passée, alors quelle est ma profession techniquement : celle pour laquelle j’ai été formée, ou celle que je pratique en ce moment, et le cas échéant est-ce que je suis serveuse, journaliste, responsable e-marketing ou bien fundraiser dans les centres commerciaux ? La secrétaire n’avait pas le temps de se pencher sur la question. Votre adresse?
“ça dépend”, lui ai-je encore répondu, parce que j’avais déménagé 5 fois au cours des 3 derniers mois. L’adresse de vos parents alors, m’a-t-elle pressée. Numéro de téléphone? J’en ai 3, vous voulez le français temporaire ou le canadien temporaire, sinon je vous donne celui de ma mère?
Ma soeur à côté de moi était désespérée, elle a dit pour décoincer la secrétaire qui commençait à faire la gueule : “quelle vie décousue tu mènes!!”, et comme d’habitude son intervention était fort à propos.

Quelle vie décousue vraiment, après 3 années d’errance! J’ai des affaires chez ma mère à Montpellier, des affaires chez mon père à Montréal, des affaires chez des amis à Vancouver, des valises avec je ne sais même plus quoi dedans, des trucs que je viendrai récupérer un jour, ou pas, absolument plus rien ne compte à part mon passeport. J’ai des amis au Canada, en France et en Israël, et les fans d’Harry Potter comprendront que c’est autant d’Horcruxes dispersés ça et là, des petits morceaux de mon âme qui m’empêchent d’être tout à fait là, à cet instant. Aujourd’hui je suis à Montréal mais je penses à tous les autres endroits simultanément, et à toutes les personnes qui sont dedans, il y a des fois où ça m’épuise.

Alors l'autre soir j’étais chez mon amie qui me recevait chez elle. J’ai réalisé que j’étais devenue une SDF, donc j’ai pris de plein grès une décision majeure : il est temps de me poser.

Mais où ? Pleine de bonne volonté, je me suis inscrite sur des sites de recherche d’emploi, et dans la section “zone géographique” j’ai sélectionné “toutes”. Honnêtement, comment choisir? Je ne suis chez moi nulle part mais je peux vivre partout. Consternée face à mon incapacité à choisir au moins un continent, j’ai attrapé un papier et un stylo et j’ai dressé une Liste.

La Liste en elle-même est difficile à établir. Quels vont être les abscisses et quelles vont être les ordonnées ? J’ai listé les endroits : Vancouver, France, Haïfa. J’ai écris “ce que j’aime” et puis “ce que je n’aime pas”. Pas si facile en fait, il y a ce qu’on aime de passage, et ce qu’on aime dans la vie, n’oubliez pas que cette Liste avait pour objectif de m’aider à savoir où me poser et non pas où me promener. Il fallait donc que je note ce que j’aime Dans La Vie sans me laisser influencer par mes coups de coeur De Passage.

Etonnement, la colonne “ce que j’aime pas” à Vancouver s’étoffait, mon stylo s’emportait tout seul avant même que je n’y pense, voyez plutôt :

Pas de visa de travail. Impression d’être une étrangère dans les relations avec les autres. Impossible de comprendre les codes amoureux. Problèmes de communication. Politesse poussée jusqu’à l’hypocrisie, discussion qui restent en surface pour ne froisser personne, pauvreté de la culture dans une province tournée vers l’activité sportive et le bien-être du corps, histoire quasi-inexistante, absence de conscience environnementale, nourriture empoisonnée par des lobby sans foi ni loi, éducation hors de prix, logements hors de prix, transports en commun hors de prix.

Puis après j’avais plus de place et je me suis dit que ça suffisait, alors j’ai déplacé mon poignet en haut de la feuille pour écrire dans la colonne des "Ce Que J’aime".

C’est beau, a écrit mon stylo. Il était là suspendu comme un con, impossible d’écrire autre chose. Je réfléchissais mais rien à faire, la beauté m’aveuglait, elle m’empêchait de penser. Quoi d’autre ? Un petit effort, on ne peut pas faire une liste aussi déséquilibrée.

C’est beau.
...
... ah, ça y est :
Impression de devoir tout donner. Ne jamais s’autoriser à se laisser aller. Travailler fort pour s’en sortir, se coucher en étant fier de soi. Impression grisante que tout est possible, impression de liberté d’actions plus grandes que dans la vieille Europe, où l’on étouffe parfois sous le protocole et sous l’assistanat. Impression de se sentir vivant, page blanche, nouvelle vie que tu gagneras à la sueur de ton front.

Voilà que mon stylo revenait dans la colonne de gauche, la colonne des J’Aime Pas. Gare à toi si tu tombes malade, gare à toi si tu te décourage un jour car tu es seul. Tu es si loin des tiens, personne n’est là pour t’aider. Tu es si loin d’une société qui tente tant bien que mal de ne laisser personne sur le côté. Marche ou crève, pas de place pour les faibles, pour les malades ou pour les tristes. Pas le temps de se poser et pas le temps de réfléchir, parce qu’il faut agir.

Puis je suis passée à “France”, je ne reviendrais pas sur ce que je déteste, ma liste est déjà là si ça vous intéresse. Mais je viens d’une région où on aime prendre le temps. On prend le temps de cuisiner, on prend le temps de l’apéro puis on prend le temps de manger. On prend le temps de ne rien faire, de contempler. On perd du temps à discuter, à s’engueuler ou à râler. On s’autorise quelques kilos en trop, on s’encourage à finir cette bouteille de vin, on va quand même pas garder ça, donne moi ton verre que je te resserve. On autorise les excès, les coups de gueule, les coups de sang, les coups de boule, les coups de mou, et je suis née là-bas. Est-ce que je peux oublier d’où je viens et embrasser cette culture canadienne de la perfection, de l’effort, de la neutralité, de la douceur et du respect ?

Il ne faut pas confondre tourisme et immigration, me dit souvent mon père. Lui tente d’immigrer au Canada depuis 20 ans sans jamais y arriver, ne le prend pas mal papa mais on croirait voir le Loup déguisé en mère-grand. Il essaye vraiment et depuis bien longtemps, mais ce n’est pas si facile d’immigrer, ce n’est pas à la portée de tous, ce n’est pas le Paradis au Canada, contrairement à ce que l’exode française pourrait nous laisser croire. Ce n’est pas chez toi au Canada, et ce n’est pas facile de se sentir chez toi, ça ne vient pas comme ça tout seul, juste parce que c’est beau, et grand, et que les gens sont sympas. La possibilité de conserver ses deux nationalités n’existe que sur le papier : au fond de votre coeur, au fond de votre esprit, et jusque dans vos réflexes les plus insignifiants, vous resterez français ou vous deviendrez canadien, mais l’entre deux n’existe pas. Il y a ceux qui y arrivent et ceux pour qui ça ne marche pas.

Dans mon cas, j’ai passé trois années à décomposer mon identité, à cacher ma culture sous les cailloux des chemins que je parcourais. Je me suis déguisée en balinaise, en vietnamienne, en népalaise, je me suis déguisée en canadienne, en juive, en musulmane, et pendant tout ce temps je n’étais que le Loup déguisé en mère-grand. J’ai cru un temps que l’habit ferait le moine, et que j’arriverai à me tromper moi-même mais regardez un peu : l’autre jour j’écoutais France Info (écouter la météo du Nord-Pas-de-Calais en vivant à Montréal est l'un des symptômes de votre inaptitude à changer de nationalité). J’écoutais France Info et ce jour là le Front National a remporté les élections européennes. Mon sang n’a fait qu’un tour, il n’est pas resté sagement à gambader dans mes veines comme l’aurait fait le sang d’un canadien. J’ai gueulé, j’ai pleuré, je me suis tenue la tête dans les mains pour montrer ma détresse, j’ai fait une scène comme mes ancêtres espagnoles, j’ai pris l’accent pied noir et j’ai traité les français de cons, je l’ai dit haut et fort, j’ai crié dans la plus pure tradition française : “Je rentre chez moi, pour relever un peu le niveau de tous ces CONS !”.

J'ai laissé tomber ma Liste : il y a des signes qui ne trompent pas.

jeudi 24 avril 2014

Elévation

Comme tous les matins depuis le matin ou j’ai quitté Vancouver, j’étais ce matin-là immobile dans mon lit, coincée dans une inertie nostalgique si forte que je ne pouvais ni bouger, ni me lever, ni tendre le bras pour vérifier l’heure qu’il était, ni fermer les yeux pour dormir, ni les ouvrir tout à fait pour affronter le monde.

Le ciel était bleu, mais cela n’était pas un prétexte suffisant pour sortir de cette insupportable immobilité. Même mes pensées ne bougeaient pas, elles étaient figées dans le temps, un temps révolu bien entendu. Elles étaient coincées au temps ou j’étais heureuse sans aucune raison valable, et ou je ne voulais pas perdre une minute de vie dans ma vie magnifique que je vivais alors.

Non pas que ma vie soit devenue moche, bien au contraire, mais vous savez parfois cette sensation de se réveiller épuisé, de n'avoir envie de rien, d’être ennuyé de tout, ça vous tombe sur le coin comme ça, d'un coup, et impossible de s'en tirer. Plus vous le vivez et plus ça prend de la place, et vous finissez par disparaître dans le Spleen, vous n’êtes plus que cette mélancolie gluante qui vous colle aux baskets, qui vous suit comme une ombre et qui vous englouti. C'est si fort que Baudelaire en a écrit un livre, on a pas l'air comme ça, immobiles dans nos lits, mais il s'en passe des choses dans cette tempête existentielle.

Je me souviens quand j’avais 20 ans, j’étais restée coincée quelques mois dans cet état. Un mec m’avait plaquée et mon ego ne s’en remettait pas, et j’avais perdu des semaines et des semaines de jeunesse à fixer un point quelque part entre mes larmes et le plafond. C’était la douce époque de l’adolescence, celle ou tu peux te permettre de ne rien faire de tes journées parce que la vie est longue et que ta maman s’occupe de tout. Aujourd’hui bien entendu il faut bien se lever, aller travailler et faire bonne figure socialement, je suis une adulte après tout, mais si l’occasion se présentait je ferais peut-être la même chose aujourd'hui, je resterais des semaines et des semaines sans manger et sans me laver à fixer ce point quelque part entre mes larmes et le plafond.

Je crois que ça s’appelle “déprimer”, et c’est pas vraiment quelque chose qui me ressemble ça non, c’est même un truc que je ne m’autorise plus depuis cette fameuse déprime de mes 20 ans. Elle s’était soldée par un violent signe Céleste, c’est du moins comme cela que j’avais interprété cet accident de voiture, ou moi et quelques personnes aurions du y rester. Je n’avais alors jamais vraiment réfléchi au concept de Dieu, mais ce soir-là j’avais ressenti que frôler la mort d’aussi près ne pouvait être qu'un avertissement Divin pour que mon âme réintègre mon corps fissa et que je me remette en mouvement, parce que la vie est un peu trop précieuse pour perdre du temps à la gâcher.

Depuis ce soir de 2006, donc, je ne me suis plus jamais autorisée à déprimer plus que quelques heures de temps à autre (je suis une fille après tout et ça m’arrive de pleurer), mais je gardais jusqu'alors en mémoire l’avertissement Divin. On ne plaisante pas avec ces trucs-là.

Bref. J’étais donc dans mon lit, c’était la semaine dernière, et d’après mon lapin Gold en chocolat de chez Lindt qui me fixait d'un œil vide comme mon cœur, c’était le matin de Pâques. Je retombais doucement dans ce fichu Spleen léthargique, celui-là même que je m’étais promis de quitter pour toujours, et puis Dieu (si ce n’est pas lui je ne sais pas qui c’est), est intervenu encore une fois.

Les cloches ont sonné.

Ça sonnait comme quand j’étais petite et qu’il fallait sortir pour aller chercher les chocolats dans le jardin, vite vite ne pas perdre de temps sinon les cousins vont les trouver avant moi. Comme piquée par je ne sais quelle envie urgente et inédite de ne pas rater la messe, j’ai bondi hors du lit, je me suis dit qu’il devait être 11h, qu’on devait être dimanche, que je ne devais pas perdre une minute de plus, pas le temps de m’habiller. J’ai couru en jogging jusqu’à l’église du quartier, celle qui m’appelait, qui m’ordonnait de me lever moi qui n’avait déjà que trop traîné, feignasse! Lave-toi le visage et viens te recueillir, viens vite penser à ta vie au lieu de jouer à mourir.

Je me suis donc retrouvée à la messe dominicale pour la première fois. Je ne suis pas croyante, à part quand Dieu m’envoie des signes que je préfère ne pas ignorer, on ne sait jamais. Je ne suis même pas baptisée, c'est dire si ma présence en ce lieu était des plus étranges, pour moi déjà mais et ne parlons pas de tous ces catholiques qui me regardaient comme une impie, je suis sur que ces gens-là savent dissocier une personne baptisée d'une âme perdue.

Je me suis assise sur un banc, un homme s’est assis à côté de moi, une famille devant moi, ça ne parlait qu’en italien, Jésus aussi, le prêtre aussi, tout le monde était italien ce matin-là, au cœur de la Petite Italie à Montréal, Canada. Tout le monde sauf moi, qui suivait du bout du doigt le livret de messe en italien qui est d'ailleurs une langue impossible si vous voulez mon avis, il y a bien trop de lettres qu'on ne prononce pas. Mon voisin a compris très vite que j’étais un intrus lorsque j'ai tenté de suivre le prêtre sur le refrain d'Halleluja, bon Dieu que ces gens parlent vite.

Passés les moments folkloriques des chansons et du battage de mesure sur un tambourin à grelots, puis le défilé d’enfants habillés en œufs de Pâques (ou peut-être est-ce en enfants de cœur), passée l’observation des fresques et des peintures, j’étais coincée là sur mon banc et impossible de me lever sans déranger une dizaine de familles pieuses en pleine prière. Alors qu'auriez-vous fait à ma place, à part vous mettre à prier?

Bon en fait, je ne sais pas comment prier. Alors j’ai fermé les yeux. J’ai profité de ne plus être amorphe pour réfléchir en français, pendant que tout autour ça parlait de la risurrezione del Signore. Sans vouloir me comparer à Jésus, l’idée d'une renaissance tombait à pic et je me suis dit encore une fois que Notre Père avait le sens de l’esthétique.

J’aime bien les lieux saints. Les murs sont souvent si épais que les espoirs des millions de personnes qui sont venues là pour prier ne se sont pas échappés. Ils résonnent d’une voûte à l’autre, ça vibre, rien n’est immobile malgré ce qu’on pourrait croire, rien n’est silencieux dans un lieu saint, et surtout pas votre âme.

J’ai enfin pu m'écouter, je pense qu'en fait c'est ce que Dieu voulait en faisant sonner les cloches pour me tirer du lit. Et devinez ce que j'ai entendu, comme quoi on peut se surprendre soi-même parfois, allez savoir ce que votre âme a à vous dire, si vous ne l’écoutez pas. Sortie de nulle part, ça m'est revenu. J'ai commencé à réciter la lettre que Benjamin Button écrit à sa fille a la fin du film. Je m'en souviens par cœur parce que ça m'avait marqué, en l'entendant il y a trois ans j'avais eu l'impression qu'il l'avait écrite pour moi, en tout cas j'avais senti que c’était très important, le genre de truc qu'il faut retenir dans la vie :

"Si tu veux mon avis, il n'est jamais trop tard pour être ce que tu as envie d'être. Il n'y a pas de limite de temps, c'est quand tu veux. Tu peux changer ou rester la même. Il n’y a pas de règles pour ça. On peux en tirer le meilleur ou le pire. J’espère que tu en tireras le meilleur. J'espère que tu verras des choses qui te secoueront. Que tu ressentiras des choses que tu n'as jamais ressenties. Que tu rencontreras des personnes qui ont un point de vue différent. J'espère que tu seras fière de ta vie. Et que si tu découvres que ça n'est pas le cas, j’espère que tu auras la force de tout recommencer".

Je me suis signée et je suis partie, le cœur léger.
Je me suis remise en mouvement.

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides;
Va te purifier dans l'air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides. 
Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse
S'élancer vers les champs lumineux et sereins.
Elévation, Les Fleurs du Mal, Charles Baudelaire. 

mardi 15 avril 2014

Vieille France

L’autre jour, un mec m’a demandé pour combien je coucherais avec un inconnu. J’ai répondu que je ne coucherai jamais pour de l’argent, mais la réponse n’a pas semblée être celle attendue par le garçon qui a continué à me questionner lourdement. « Allez, pour 50000$ du couches pas ? Et pour 100000 $, ne me dis pas que tu dirais non ! T’imagine ce que tu pourrais faire avec 100000$ ? » Et alors que je m’entêtais, « non je ne coucherai jamais contre de l’argent, peu importe le montant », le mec insistait, devenant même franchement agressif, jusqu’à me sortir, agacé : « bon allez arrête de faire des manières, je connais une fille plus belle que toi, et elle m’a dit qu’elle coucherait pour 50000$ ».

En plus de me traiter de pute, le garçon (qui était supposé être un copain) m’a donc aussi traitée de menteuse, de moche, de chieuse et de vénale, le tout en 5 minutes de conversation déplacée.

Un homme charmant, donc. A l’image de ces hommes dans les rues de Lyon qui se sont permis de me dévisager comme un chien affamé reluque les poulets en vitrines dans une rôtisserie. « Si tu glisses, je te bouffe » me laissaient entendre leurs murmures gourmands qu’ils se permettaient de glisser à mon oreille en me croisant.

Atterrée, je regardais les prédateurs, assis en meute aux terrasses des cafés, interrompre une conversation pour se rincer l’œil sur une femme qui passait, se retourner dans un sens, puis dans l’autre, se pencher en arrière contre le dossier de leur chaise pour n’en pas perdre une miette, jusqu’à ce que la femme, faisant mine de ne rien avoir vu, disparaisse dans la foule.

« T’es bonne », « t’as un beau corps », « t'es sexy »… Je me faisais interpeller comme ça six, sept, huit fois par jour par des hommes de tous âges, qui se justifiaient ensuite (lorsque je les engueulais en leur demandant quel était donc leur problème a ces tarés du slip), me disant que fallait pas m’énerver comme ça madame, c’était pour faire un compliment.

« Je te baiserais bien ».

Tu parles du compliment.

J’ai souvent entendu dire que les canadiens ne draguaient pas. C’est vrai que quand tu arrives d’un pays ou les hommes sont restés coincés a l’époque du neandertal, tu te demandes pourquoi tout a coup plus personne ne veut te manger toute crue. C’est un peu comme quand Tom fait la sieste et que Jerry, habituée a se faire chasser 24h/24, vient le réveiller en lui tirant la moustache.

En fait, rassurez-vous : au Canada les bébés ça se fabrique comme en France. Mais parce que c’est une société plus neuve, la race humaine semble un peu plus civilisée. Les hommes ne tendent plus des pièges aux femmes comme à l’époque de la chasse au mammouth. Ici on utilise des armes plus fines, des techniques plus élaborées. Ça peut déstabiliser au début mais c’est en fait tout a fait normal. Car oui mesdames, vous avez le droit au respect !

A Vancouver aussi, je me suis faite beaucoup draguer dans la rue et aux restaurants. Les hommes s’arrêtaient et me disaient bonjour. Ils  me demandaient d’où venait mon accent, et ce que je faisais ici. Et puis ils proposaient de poursuivre la conversation dans un café. Voilà, ça n’allait pas souvent plus loin, mais c’était agréable. Peut-être qu’ils avaient faim eux aussi, mais ils avaient au moins la délicatesse de ne pas se lécher les babines en me montrant explicitement à quelle sauce ils allaient me manger.

Au Canada, je me sentais courtisée. En France, je me sens juste observée, menacée, traquée. Je me demande si ce n’est pas ce que je porte, ou si ce n’est pas ma démarche. J’ai peur de rentrer seule le soir, s’il m’arrive quelque chose ce sera ma faute, et puis je réalise que non, le problème ne vient pas de moi. Le problème ne vient pas non plus des hommes, qui ne sont pas des animaux. Le problème vient de là, de ce pays ou les femmes ne sont plus respectée ni par les hommes, ni même par les femmes.

Je prends l’exemple d’un article du magazine ELLE, qui consacrait ce mois-ci un dossier de 6 pages a la chanteuse Miley Cyrus. La petite dernière des studios Disney, obsédée par l’envie de ne plus être une enfant, a décidé de devenir une femme en devenant une pute. Depuis des mois, elle passe plus de temps à se trémousser a moitié nue contre des sexes masculins, ou contre ses peluches, ou contre un boulet de chantier, ou encore contre un marteau qu’elle lèche avidement en passant sa main tatouée dans sa petite culotte en coton, plutôt qu’à chanter.


Classe
Et vous pensez qu’ELLE, magazine féminin mais visiblement pas féministe, s’indignerait d’un comportement aussi vulgaire ? Pas du tout. L’article chante les louanges de cette « artiste accomplie », de cette « femme ambitieuse », engagée pour le droit des femmes à disposer de leur corps et à en faire ce qu’elles en veulent.

Disposer de son corps pour en faire la chose que l’industrie du porno et de la musique (dont les ficelles sont tirées par des hommes) a décidé d’en faire ; ce serait donc ça, l’ultime libération des femmes. Si un homme me force à me prostituer ou à montrer mes seins pour gagner ma vie, je suis une victime. Mais si je prends les devants et que je le fais de mon plein gré, je suis une femme libérée. Vive le féminisme en 2014 !

J’applaudis toutes ces femmes qui se pensent libres et l’égal des hommes en se comportant exactement comme les hommes veulent qu’elles se comportent. Les médias ont fait de ces jeunes filles des femmes objets et fières de l’être.

Vous pensez que j’exagère ? Regardez cette vidéo de toutes ces stars, suivies par des milliers de fans a travers le monde, qui pensent qu’être sexy c’est simuler une sodomie sur un fauteuil en cuir. « Tenons les hommes par les couilles ! » scandent ces idiotes, pendant que les hommes, ravis, leur laissent croire qu’elles ont pris le pouvoir.


Ce qu'elles font

A quoi elles ressemblent vraiment
La géniale vidéo de South Park sur l'Orgie de chats ici

J’étais à deux doigts d’écrire a la rédaction de ELLE et puis j’ai choisi d’écrire sur mon blog, parce que c’est encore une fois une différence de culture France / Canada que je pense être intéressante a partager.
Je ne savais pas expliquer pourquoi je ne voulais plus vivre en France lorsque les canadiens me demandaient la raison pour laquelle j’avais quitté un si beau pays. Il y a quelque chose, je ne sais pas. Je ne m’y sens pas bien. Je ne sais pas pourquoi. J’avais presque oublié, avec le temps, pourquoi je m’échappais de chez moi à chaque fois que j’y retournais. Le temps colorie tous les souvenirs aux couleurs de l’arc en ciel. Juste avant de quitter Vancouver, je me suis dit que j’avais hâte de revoir mon pays. Et puis je suis arrivée à Paris, et puis je suis allée à Montpellier, et puis j’ai été à Lyon, et la vérité m’a sautée au visage.

J’ai compris pourquoi j’étais si mal, malgré le fait qu’on y mange bien, qu’il y fait beau, qu’il y a ma famille, mon histoire et mes racines.

Il n’y a pas d’amour entre les gens. Il n’y a pas de respect ni de bienveillance, il n’y a pas de tolérance ni de curiosité pour l’autre. La France est maintenant régie par un sournois système de castes, et chaque caste prend soin de ne jamais se mélanger à une autre. Les noirs et les blancs, les hommes et les femmes, les hétéro et les homo, les musulmans et les athées, les hypster et les bobo, les ouvriers et les cadres sup, les gars des villes et les gars des champs, les artistes et les réalistes, les célibataires et les gens en couple, les français de France et les français d’ailleurs, les touristes, les juifs, et tous les autres. On ne se mélange pas. On ne se tolère pas. On ne s’aime pas. On ne se veut pas du bien. On a peur, on en a marre. On s’évite ou on se bagarre.

J’ai compté sur mes doigts le nombre de jour qu’il me restait à tirer dans ce pays que je ne reconnaissais plus, et j’ai filé une fois de plus, sans me retourner cette fois. Pas certaine que ce sera mieux ailleurs, mais convaincue que ce n’est plus chez moi.

samedi 5 avril 2014

Qui quand quoi comment?

Ce matin, je me suis réveillée d’un sommeil si profond qu’il m’a fallu de longues secondes pour comprendre qui j’étais, puis ou je me trouvais, et enfin quelle langue parlaient les personnes autour de moi. Il était 10h du matin, j’étais dans ma chambre chez Guillaume et Othman, et les gens parlaient québécois dans la cuisine. 

Je suis à Montréal. Il y a deux semaines j’étais dans le printemps de Vancouver, il y a 48h l’été commençait à Lyon, et aujourd’hui c’est la fin de l’hiver au Québec. Trois fuseaux horaires différents en trois semaines ça fait un peu beaucoup, et après le départ des colocs je suis restée écrapoutie sur le canapé a manger de l’aubergine rôtie a l’ail en me disant que je n’aurai jamais la force de me lever, de vivre, de respirer, de digérer, de me laver ni de parler, bref je n’étais qu’une masse inanimée.

Dans un dernier sursaut de survie, j’ai roulé à terre et, enfilant une paire de baskets, un jogging informe et un sweat à capuche, j’ai entrepris de ramper jusqu'au café Simeon, l’italien d’en face.

Et bien entendu, parce que cela n’arrive que quand tu es moche, misérable et que tu sens l’ail à 11h le matin, je suis tombée nez à nez avec un copain qui lui était beau et frais et qui m’a vu avant que je ne le voie et que je puisse me cacher dans une ruelle. Il m’a pris dans ses bras en riant alors que je tentais de me fourrer la tête entière dans ma capuche pour étouffer ma honte mais c’était trop tard, ma réputation était fichue. Le garçon m’a encouragé à aller au café Simeon, un bon café m’a-t-il dit, bien qu’il ne boive pas de café. Je lui ai remué les doigts devant les yeux en lui ordonnant d’oublier cette rencontre et j’ai filé, tête basse, jusqu’à chez Simeon. J’ai poussé la porte. Et je suis entrée en Italie.

Une horde d’hommes braillards à la peau mate lisait leur journal en buvant à la chaine des expressos bien serrés dans des tasses à peine lavées. De la buée sur la vitre nous protégeait tous de la morosité du dehors. Les pâtisseries tièdes étaient englouties en italien. J’ai commandé un macchiato, c’est ouno espresso avec ouno poti po dé mousse (m’a expliqué le patron). Grazie mille. J’ai bu mon café au comptoir, et avant même que la caféine ne passe dans mon sang, j’étais requinquée comme jamais par l’énergie de ce lieu, ce petit bout d’Italie au milieu de Montréal.

Je suis de retour a la maison et tout est comme il y a 10 mois, le soleil en moins et mon anglais en plus. Je prend une douche et je commence une nouvelle vie, une nouvelle fois, un chapitre de trois mois ici avant de repartir la-bas, ou bien ailleurs, enfin on verra.

Ma chambre à Montréal, mes souvenirs de Vancouver

jeudi 20 mars 2014

Douce France

L’autre jour, j’ai croisé mon reflet dans une vitrine et je ne me suis pas reconnue tout de suite. La fille qui me regardait portait un bonnet, un sweat à capuche, une paire de leggings et des chaussures de course. Quand j’ai réalisé que c’était moi, je me suis souvenue de ce que j’écrivais il y a quelques mois, à propos du fait que je renforçais mon identité française en vivant à l’étranger… Il semblerait que ce comportement de survie de mon identité n’ai duré qu’un temps très court, car elle s’est faite ensevelir sous une couche bien épaisse de nouvelles habitudes de vie, soufflées a mon oreille par l’air pur et frais de Vancouver.

Alors j’ai voyagé dans ma vie, mais à chaque fois que je revenais au pays je sentais que je revenais à la maison. Même lorsque je vivais a Montréal petite, que j’étais scolarisée là-bas, lorsque l'on atterrissait à Paris une fois par an je gambadais dans l’aéroport en chantant « Douce France, cher pays de mon enfaaaance ». Je retrouvais mes gens, ma nourriture, mes habitudes, les odeurs qui me rassuraient, les codes que je comprenais, je me disais que j’étais de retour chez moi.

Après 6 mois en Asie, la première chose que j’avais faite avait été d’enfiler une paire d’escarpins CosmoParis, la larme à l’œil et le tube de rouge Chanel à la main. Au Népal, je passais de longues heures la nuit à imaginer la vie dans les Alpes, impatiente de retrouver mes montagnes alors que nous étions aux pieds de l’Himalaya. Au Laos, je pensais aux rues de Paris avec nostalgie alors que je mangeais un croissant au beurre sur le bord du Mekong à Luang Prabang. Mais au Canada, il s’est passé quelque chose, je ne saurais pas dire quand exactement. Je ne sais plus à quel moment j’ai arrêté de penser à la France avec nostalgie mais simplement avec le sourire. Je ne me souviens plus quand je me suis autorisée à aller travailler en leggings, ou à aller en boîte avec mon pantalon de ski. Je n’ai pas vu la transition s’opérer, jusqu’à ce que j’arrive à Paris mardi matin.

Je suis sortie de l’avion dans la grisaille parisienne, regardant mes voisins parler en français comme s’ils étaient des martiens. J’ai fondu en larmes devant le douanier qui m’a souhaité la bienvenue en France, et je me suis ruée chez Paul pour trouver un peu de réconfort dans un sandwich au sausisson que j’ai commandé en anglais, ne réalisant pas que je parlais anglais jusqu’à ce que je remarque l’œil vide et le sourcil levé de la caissière. J’ai repensé au vendeur du stand Hermès a Vancouver, le montpelliérain qui avait oublié son français et que j’avais critiqué allègrement, mon Dieu voilà que je devenais comme lui après moins d’une année à l’étranger.

"One sub and a coffee, please"
La tristesse s’est estompée dans le TGV, alors que la brume de la Terre du Milieu laissait la place petit à petit au soleil scintillant du sud de la France. J’ai vu par la fenêtre toutes les choses que j’aimais : la Saône verte qui brillait sous le soleil, le Transbordeur, le crayon lyonnais dans le ciel rose du matin, les quais de Lyon Part Dieu, et tout l’amour que je porte à cette ville et les personnes qui vivent dedans m’a réchauffé le cœur. J’ai continué ma route jusqu’à Montpellier, voyant défiler à très grande vitesse les maisons en pierres blanches et les clochers, écoutant avec tendresse les contrôleurs à l’accent du sud bafouiller les consignes dans un anglais marseillais, observant avec stupeur les mecs en scooter qui ne portent pas de casque me draguer au feu rouge, ou encore les gens qui me passent devant pour prendre l’ascenseur en premier.

9h46, le type qui boit une Leffe dans le TGV, on peut en parler?

Lyon Part-Dieu, ici, Lyon Part-Dieu.
Assurez-vous de n'avoir rien oublié dans le train.

Voilà pas de doute, j’étais de retour au pays mais ce n’était plus chez moi. Je regardais tout ça comme lorsque je regardais les rues de New York, j’avais l’impression d’avoir déjà tout vu dans les films, tout en sachant que je n’en faisais pas partie.

Alors je ne suis plus triste, je suis contente d’être en France, ce cher pays de mon enfance, sauf que voilà : je ne suis plus une enfant. C’est maintenant le pays des souvenirs, ceux qui font du bien à l’âme, comme l’a prouvée cette dernière soirée passée à Whistler avec mes deux amies françaises : vendredi soir, nous avons cuisiné religieusement une tartiflette avec le Reblochon de Savoie que Laura gardait depuis des mois dans le congélo pour une occasion spéciale, un verre de vin blanc à la main et Doc Gynéco en fond sonore. Puis la tartiflette est sortie du four, et chacune à notre tour on a incliné la tête au dessus du plat pour le respirer, les yeux mi-clos et le sourire aux lèvres, plongeant notre doigt dans la crème de Reblochon comme certains le feraient avec de l’eau bénite, le portant à notre bouche comme on fait un signe de croix, remerciant la mère de Laura pour ce fromage importé illégalement sur le sol canadien comme l’on remercierait Marie, notre mère à tous, notre bienfaitrice, Amen.


Sans commentaire.

Ces traditions font partie de nous et cette culture commune rapproche les exilés autour de souvenirs rassurants, les souvenirs de la vie d’avant. Mais en vrai, je vous le dis : nous sommes partis trop loin, ou trop longtemps. Nous ne faisons plus partie du présent de ce pays, la France n’est pas qu’une tartiflette qui sort du four. Je suis en France et je repère les souvenirs qui me font sourire : les bouteilles de vins au fond du Carrefour, les blagues Carambar, l’espresso au comptoir, l’odeur des viennoiseries dans la gare le matin. C’est tout comme avant mais c’est moi qui a changé. J’ai pas encore mangé de fromage et je me fais cuire des œufs over-easy pour le petit-dèj. J’ai pas encore ouvert mon placard pour porter mes vêtements parisiens, je suis toujours en leggings avec mon bonnet sur la tête. J’écoute la CBC news, je vais courir le matin. Je suis sur la Méditerranée, heureuse, mais mon cœur vit maintenant sur l’Heure Normale du Pacifique.



dimanche 9 mars 2014

Les uns et les autres

Facebook a changé les codes et les mentalités, toutes générations confondues, en moins de dix ans. En 2007 on ne savait pas trop quoi en faire, mais en 2014 on pense en communautés, et on sait quel comportement adopter sur le réseau social aussi surement que ceux à adopter en société. Il y a des choses qui ne trompent pas, et aussi sur que l’on s’attend à un « de rien » lorsque l’on dit « merci », les actions/réactions sur Facebook sont maintenant hypra prévisibles.

Je prends le dernier exemple en date parce que je suis de cette génération qui va bientôt avoir trente ans : la grossesse.

Vous qui jadis échangiez vos anecdotes de voyages et de soirées, assistez maintenant avec dépit a la publication des photos de la maison, de la chambre d’hôtel du voyage de noces, et de mains enlacées gantées de blanc et baguées de diamants.

Puis subitement, après 7 années de publications actives, les amoureux disparaissent de la toile. Vous ne voyez plus jamais aucune photo d’eux, et les commentaires se font rares ? Aussi sur que deux et deux font trois, c’est parce qu’ils attendent un heureux évènement! Patientez 5 a 7 mois avant de les voir resurgir tout à coup pour annoncer fièrement la fin de la grossesse et/ou la naissance de leur enfant, modifiant ainsi a jamais votre flux d’actualités pour le meilleur (ou pour le pire, selon vos centres d’intérêts personnels).

Vous pouvez donc être certains que 6 à 12 mois après le mariage arrivera l’annonce publique de la grossesse, qui va vous dégouter tout à fait de Facebook et de ses échanges mielleux de cœurs, de messages de félicitations, de photos de petits pieds et de petites menottes, voir malheureusement, dans beaucoup trop de cas selon moi, de photos de gros nichons, de gros bidons, de vergetures, ou encore de vidéos ou le pied de bébé défonce le ventre de maman.

Le tout à la sauce réseau social, c’est-à-dire avec filtre Instagram ou montage Photoshop aux couleurs pastels et à la typo en ruban.

Vous vous mettez insidieusement à regarder les albums photos de la vie de ces gens qui rivalisent d’originalité pour vous faire partager leur bonheur, à vous qui êtes célibataire, entourée de célibataires, dans une vie précaire et aventureuse ou les certitudes n’existent pas. L’achat de la maison, les fiançailles et la grossesse vous apparaissent comme un roman photo ou tout finira bien, un chemin de vie heureux et sain qui vous fait sentir moins que rien.

Qu’est-ce que le bonheur, vraiment ? Ne devrais-je pas suivre la voie pavée de dragées roses et bleues qu’empruntent tous mes proches ? A quel moment dans nos vies ai-je choisi le chemin de cailloux qui grimpe tellement sec qu’on ne voit pas le sommet ?

Parfois je regarde les chemins de vies de tous ces gens et je me demande si mes choix sont les bons. En fait, Facebook me stop dans l’ascension de ma propre route. Je m’arrête et je regarde en arrière, ça me donne le vertige. Je me demande si je ne ferais pas mieux de redescendre, de retourner sur le chemin que les autres empruntent le cœur léger. Je commence à avoir peur de tomber, de me casser un truc, de plus pouvoir avancer. Comment savoir si ce qui m’attend au sommet sera bien ?

Heureusement sur le chemin de cailloux, je ne suis pas toute seule. D’autres l’empruntent avec moi, chacun passe par un sentier différent, s’accroche a une touffe d’herbe que je n’avais pas vue, me montre un bon caillou sur lequel m’appuyer pour continuer à monter. J’arrête alors de regarder vers le bas et j’avance, en essayant de me frayer un chemin qui ne ressemble qu’à moi.

Et puis, de temps en temps, je reçois des messages de ceux qui sont sur l’autre route et qui regardent les photos de ma vie sur Facebook. Ils se posent les mêmes questions sur leurs choix que moi, se demandant si par hasard la grimpette vers un sommet incertain ne serait pas plus palpitante que la route de dragées roses et bleues.

Facebook est un fléau qui te met face aux choix des autres, ceux que tu n’as pas fait et qui auraient pu être une source de bonheur que tu ne connaitras jamais.

Le problème quand tu sors de la route, c’est que tu prends une hauteur qui te fait voir les choses autrement. Tu vois toutes les autres routes, chemins, sentiers et terriers que tu pourrais potentiellement emprunter. Tu n’aurais jamais vu ces routes si tu étais resté avec ta communauté initiale, et la question du choix ne se serait jamais posée. Mais maintenant c’est trop tard, tu sais : il y a un milliard de façon de vivre et chacune présente un nombre égale d’avantages et d’inconvénients, rendant le choix impossible, surtout pour une personne comme moi qui est incapable de choisir entre le Big Mac ou le Chicken Deluxe a Mc Do.

Quelle route emprunter, nom de dieu ? Parfois je préfèrerais ne pas savoir tout ce que je sais et avancer sereinement avec les autres, partager leurs galères et leurs moments de joie, mais je ne peux plus revenir en arrière. Le monde entier est accessible en moins de temps qu’un trajet Montpellier-Quimper. Plus je voyage et plus je rencontre des gens aux chemins de vie différents, et je réalise que le bonheur est partout pourvu qu’il ne ressemble pas au bonheur d’un autre que moi.

Le plus dur dans cette quête est donc de ne pas regarder le bonheur des autres comme un choix que j’aurais dû faire, mais simplement comme le bonheur de quelqu’un d’autre. Facebook n’aide pas à se concentrer sur ses propres débats intérieurs : comme si faire des choix de vie n’était pas déjà assez difficile comme ça, tu as en plus la possibilité de les comparer quotidiennement avec une centaine d’autres personnes qui ne te montreront jamais leurs propres moments de doutes.

Cette crise existentielle que je traverse depuis quelques semaines a été stoppée nette avant-hier, alors que j’en parlais au téléphone avec mon père, pleurant sur le fait que ma vie était un bordel sans nom, que je ne me sentais chez moi nulle part mais que je voulais vivre partout, que je ne savais pas ce que je voulais faire de ma vie professionnelle et personnelle et puis j’ai levé les yeux de mon écharpe et j’ai vu cet homme qui attendait pour traverser la route. Il devait avoir 30 ans, et il était en fauteuil roulant. Il n’avait ni jambe ni bras.

J’ai décidé de me remettre à grimper.

dimanche 26 janvier 2014

Sois beau et...

Hier, j’ai eu l’immense privilège de téléphoner près de 3 heures avec ma petite sœur, qui est facilement la personne la plus instruite, intelligente, brillante, drôle et sensible que je connaisse, du haut de ses 21 printemps.

Alors nous parlions de choses et d’autres, et je parlais de Vancouver, de ce que j’aimais et de ce que je trouvais étrange. Je lui disais que j’avais beau adorer cette ville et n’avoir aucune envie de la quitter pour le moment, je me sentais souvent étrangère à l’endroit, différente de ses habitants.

Quand on arrive à Vancouver, on est saisi par la sérénité de ses rues. L’énergie circule bien, Portée par l’océan, elle vibre en écho entre les montagnes enneigées et les buildings étincelants. La nature est partout, et le sport fait partie du quotidien des citoyens qui ont une alimentation exemplaire à faire pâlir ce bon vieux Dukan. Ma sœur et moi comparions nos petit-déjeuner, elle avec des viennoiseries ou des tartines de pain beurré, moi avec du gruau d’avoine ou des smoothies aux épinards.

Ici, on évite le gras, le sucre, le pain, la viande, le gluten, le soja ou les produits laitiers d’origine animale. On fonce sur les céréales, les matières grasses végétales, les farines sans gluten, les noix et les protéines naturelles en poudre. Je disais à Mathilde que TOUS les hommes que je connais ici ont TOUS le même blender dans leur cuisine, pour préparer leur smoothie protéiné avant d’aller travailler. Absolument TOUS vont à la gym lever des poids et regarder leur corps se transformer peu à peu vers le corps standard vancouvérois : un corps musclé et robuste, je dirais un corps gonflé et lisse, parce que les poils, bien entendu, c’est un truc de français. Les hommes ici sont imberbes, sauf pour la barbe, qui se porte en toutes saisons et a tout âge, symbole incontesté de virilité. Je ne connais pas de fumeurs, à part mes amis français. Il semble ici que la santé soit au cœur des préoccupations, et quand j’ai cuisiné une Galette des Rois, les réactions n'ont pas été « ça a l’air trop bon !! » mais « ça a l’air trop gras !! ». Lorsque je mange une crème glacée, il y en a toujours un(e) pour dire « il va falloir augmenter ton cardio après ça ! ». Parfois j’ai envie de les envoyer se faire foutre et de me rouler nue dans de la pâte à tartiner.

Je continuais donc à raconter à ma petite sœur toutes les choses étranges que j’observais :

Cette semaine, je travaille en dehors de la ville, et pour la première fois le prend le skytrain, le métro mi-dedans mi-dehors. Alors l’autre matin, je sortais de la station, tête baissée sur mon iPhone, quand je suis rentrée dans une personne plantée au beau milieu du couloir de sortie. J’ai donc levé la tête et j’ai réalisé que cette personne était plantée derrière une série d’autres personnes attendant leur tour pour monter dans le bus. Aussi incroyable que cela puisse paraître, les gens font la queue pour monter dans le bus. Premier arrivé premier assis, et la parisienne d’adoption que je suis a failli s’étouffer avec sa gorgée de café.

J’étais lancée, et en parlant avec ma sœur je me rappelais tout à coup toutes les choses qui m’ont marquées. Je lui ai raconté les murs vierges de la ville, sans affiche et sans graffiti. L’interdiction de boire de l’alcool ou de fumer en terrasse. Les panneaux « les voisins vous surveillent » postés dans les rues ou sur les portes des immeubles. La gentillesse et la politesse qui priment parfois sur la franchise.

"pas d'affichage"

La file d'attente pour prendre le bus :))

Je le disais, la sérénité de cette ville est saisissante. C’est ce qui fait qu’il ait bon vivre ici, surtout lorsque l’on arrive de France : le calme, le respect de soi et des autres, l’espace et la propreté. Je parle souvent de Paradis quand je parle de Vancouver, mais c’est vrai qu’elle a ce petit côté irréel, presque trop beau pour être vrai.

Depuis quelques temps, je commence à raisonner de manière totalement nouvelle. Je perds en spontanéité, et je commence à calculer : combien de calorie dans cette tranche de pain ? Combien de sodium dans cette sauce pesto ? Combien de pourcentage de gras dans mon yaourt ? Moi qui n’ai presque jamais pris de petit-déjeuner, je mange chaque matin, convertie au sacro-saint précepte local : on ne saute JAMAIS son petit-déjeuner. C’est le repas le plus important de la journée. Je n’écoute plus vraiment mon corps, devrais-je dire, je mange parfois sans avoir vraiment faim et je culpabilise à chaque bouchée, calculant mon IMC et focalisant sur la circonférence des cuisses de ma voisine. Mes voisines si parfaites, je vous le disais, toutes modelées par la course à pied, la gym et le yoga.

En m’écoutant parler de cet idéal de corps sain, mon génie de petite sœur fit un rapprochement intéressant : la dictature du corps sur l’âme prônée par les régimes totalitaires au siècle dernier. Non pas que je veuille comparer Vancouver au IIIe Reich, loin de moi cette idée. Mais cette discipline ambiante, ce conformisme dans la façon de manger, de bouger, de vivre ou d’aimer, c’est peut-être ça qui me fait sentir étrangère.

Un française bercée par des centaines d’années de contestation et de révolution, des centaines d’heures de ralage, de débats et de manifestations, des centaines de calories ingérées dans la plus heureuse insouciance sur l’autel du plaisir, cette française ne peut que regarder Vancouver comme on regarde un film : ressentir sans partager, observer sans faire partie.

J’ai foncé sur Internet pour creuser cette histoire d’idéologie du corps fort et sain, prônée par le nazisme, inspiré par les canons de beauté de l’antiquité et propagé par l’art officiel. Un régime politique fondé sur l’esthétique et la biologie. Bien entendu, il n’est pas question de ségrégation raciale à Vancouver, l’apparence idéale n’a pas pour objectif d’écarter une communauté. Mais c’est vrai, je dois le dire, que ma sœur a raison en rapprochant cette obsession de pureté et de perfection avec un régime totalitaire. "Tout témoigne aujourd’hui que le corps est devenu objet de salut. Il s’est littéralement substitué à l’âme dans cette fonction morale et idéologique » disait Baudrillard dans La Société de Consommation.

C’est cette citation qui a fait le lien dans mon esprit : dans cette ville, j’ai l’impression que la morale est basée sur le corps plutôt que sur la réflexion ou encore sur la religion. Ce qui est bien ou ce qui est mal, ce qui est bon ou ce qui est mauvais, ce qui est beau ou ce qui est laid, serait inspiré par la biologie, par la médecine ou par le physique. Un paradigme à ce point éloigné de toute spontanéité qu’il prendrait le pas sur la pensée libre.

Un beau corps, sans matière grasse. Une belle ville, sans graffiti. Du bon pain, mais sans gluten. Du bon sexe, mais sans sentiments.

J’ai vu un film cette semaine que je vous conseille vivement si vous avez envie de comprendre ce que je tente de vous expliquer dans un charabia philosophique de comptoir. Pardonnez d’ailleurs cette réflexion partagée, mais c’est aussi ça l’expérience d’expatriée : ce que j’observe me fascine, et ce n’est peut-être que mon propre jugement, un peu brouillon, mais j’espère qu’il intéressera mes lecteurs, amis ou inconnus, sans ennuyer ni blesser personne.

Ce film, donc, c’est Don Jon. Observez ce jeune homme, parfait produit d’Amérique du nord, fidèle en tous points aux hommes que j’ai rencontrés ici : "my body, my pad, my ride, my family, my church, my boys, my girls and my porn". Observez sa cuisine, avec son blender pour faire des smoothies protéines. Observez sa façon d’aimer.



Quant à moi, je vous aime tous, sans compter. Bonne semaine !

samedi 11 janvier 2014

Ce qui ne tue pas te rend plus fort

Il y a un truc vraiment horrible dans la vie, l’un des trucs les plus horribles qui puisse t’arriver, c’est de te faire plaquer par la personne que tu adores.

Le jour où ça t’arrives, c’est un jour comme tous les autres, personne ne t’as rien dit, tu n’as rien vu venir, et PAN : tu te le prends dans la gueule. Parce que tu n’étais pas préparé, parce que ça fait un mal de chien, parce que tu refuses d’accepter la réalité qui est trop moche et trop triste, il se passe quelque chose d’encore plus moche : tu deviens pathétique.

Tu sais, c’est quand tu es prêt à faire la lessive de la nouvelle meuf de ton ex, juste pour pouvoir exister encore un peu dans sa vie. Pour qu’il ne disparaisse pas complètement de la tienne. Pour que le dernier espoir ne s’envole pas, emportant avec lui un énorme morceau de toi que te ne retrouveras jamais.

Alors ce jour-là, il pleuvait comme il pleut à Vancouver : une chute d’eau invraisemblable, c’était une tempête de pluie qui balayait la Colombie-Britannique de gouttes d’eau grosses comme des billes. Il faisait déjà nuit alors qu’on était le matin, un jour comme tous les autres, en somme. Je trempais mon croissant dans mon bol de café, et puis mon téléphone a sonné.

C’était lui. C’était l’homme avec qui je m’imaginais passer ma vie ici, celui qui tenait dans ses mains mon destin tout entier. C’était le patron de l’agence de communication absolument trop cool qui m’avait reçue pour un entretien quelques jours plus tôt. Tout avait été si parfait, je croyais que cette fois c’était la bonne, mais voilà : il a rencontré quelqu’un d’autre, quelqu’un qui correspond mieux à ce qu’il recherchait. Ce n’est pas de ma faute, me dit-il dit. Je suis une personne géniale, et il connait mes qualités. Il est content de m’avoir rencontré, ajoute-t-il encore, alors que mon croissant tombe en miettes dans la noirceur de mon café. On se recroisera peut-être, qui sait. Il me souhaite tout le meilleur pour la suite.

Et il a raccroché. C’était fini.

La douche que les nuages bas et noirs déversaient sur la ville n’était rien comparée a celle que je venais de me prendre par téléphone. C’est alors que le Ciel s’est fendu et, dans un éclair aveuglant, Dieu a pointé son doigt sur moi et m’a dit d’une voix forte : « Tu resteras dans ton boulot de merrrrrrrrde ».

Et dans son écho qui résonna encore de longues secondes, j’entendis murmurer « Et tu n’auras jamais ton visa ! Et tu devras partir ! Parce que tu es NULLE ! ».

Apres un échec pareil, un français remonterait dignement sur son cheval et, sans se retourner, partirait a la chasse à l’emploi, parce qu’un de perdu dix de retrouvés dit-on, et qu’on n’a pas de temps à perdre avec ce connard qui veut pas de nous, il ne sait pas ce qu’il perd, le con !

Mais ici vous le savez, nous sommes au Canada. Et devinez un peu, je vous le donne en mille : un canadien ne réagit pas comme un français. Ce que j’appelle dignité, ils appellent ça faiblesse. Ce que j’appelle pathétique, ils appellent ça déterminé.

Je m’explique.

Lorsque j’ai annoncé à mes amis canadiens que je n’avais pas fait le poids face à mon concurrent canadien, TOUS ont répondu que ce n’est pas grave, rappelle-les et dit leur que tu veux quand même travailler avec eux, même gratuitement, on commence quand ?

En gros, pour revenir à la métaphore de la rupture, c’est un peu comme si tous mes amis m’encourageaient a rappeler mon mec pour lui dire :
« Tu viens de me quitter pour une autre mais ce n’est pas grave mon chéri, je ne t’en veux pas. Je t’aime toujours. Je t’aime tellement que je veux bien qu’on se voit de temps en temps, rien qu’une fois par semaine, je te demanderai rien, je te paierai même l’hôtel si tu veux. Dis oui. S’il te plait. ».

Bref, il semblerait que personne ici ne comprenne que j’aimerais bien éviter d’être pathétique SVP. J’ai tenté d’expliquer le truc aux copains, que bon je n’avais pas vraiment besoin de ça en ce moment, si au moins je pouvais garder ma dignité ce serait bien voyez, et ils ont dit qu’ils ne voyaient pas le rapport.

Pour un canadien, rappeler le patron qui vient de me recaler, ça n’a rien de pathétique. Au contraire, c’est la preuve que je suis motivée et combative. En gros, c’est comme si je rappelais mon mec pour lui dire :
« Tu viens de me quitter pour une autre, d’accord c’est ton choix, et je le respecte. Mais je vais te prouver que tu as eu tort. Je vais me rendre indispensable et quand tu verras à quel point je suis géniale, c’est toi qui me supplieras de rester. Et crois-moi mon mignon, je vais gagner ».

Parce que les canadiens sont des winners, c’est l’esprit nord-américain ça, c’est leur passé de cow-boy. Tu veux quelque chose ? Va le chercher. Ne lâche rien. Ne te décourage jamais. Quand on veut on peut. La fin justifie les moyens. Enfin vous saisissez, quoi.

C’est incroyablement motivant.

Alors c’est ce que j’ai fait, j’ai laissé tomber mon drap de dignité, je me suis retrouvée a poil, sans plus rien à perdre. J’ai écrit ce mail pathétique combatif pour essayer d’obtenir ce que je veux vraiment : travailler dans cette agence beaucoup trop cool, et m’éloigner doucement de ma vie de souillon (je veux dire, d’hôtesse de restaurant).

Alors telle que vous me voyez-la, je joue au cow-boy, avec de la fausse barbe et cachée sous mon chapeau, je fais comme si j’étais sur de ce que je faisais alors qu’en fait j’apprends, je ne sais rien. J’attends.

Je vous tiens au courant.