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jeudi 20 mars 2014

Douce France

L’autre jour, j’ai croisé mon reflet dans une vitrine et je ne me suis pas reconnue tout de suite. La fille qui me regardait portait un bonnet, un sweat à capuche, une paire de leggings et des chaussures de course. Quand j’ai réalisé que c’était moi, je me suis souvenue de ce que j’écrivais il y a quelques mois, à propos du fait que je renforçais mon identité française en vivant à l’étranger… Il semblerait que ce comportement de survie de mon identité n’ai duré qu’un temps très court, car elle s’est faite ensevelir sous une couche bien épaisse de nouvelles habitudes de vie, soufflées a mon oreille par l’air pur et frais de Vancouver.

Alors j’ai voyagé dans ma vie, mais à chaque fois que je revenais au pays je sentais que je revenais à la maison. Même lorsque je vivais a Montréal petite, que j’étais scolarisée là-bas, lorsque l'on atterrissait à Paris une fois par an je gambadais dans l’aéroport en chantant « Douce France, cher pays de mon enfaaaance ». Je retrouvais mes gens, ma nourriture, mes habitudes, les odeurs qui me rassuraient, les codes que je comprenais, je me disais que j’étais de retour chez moi.

Après 6 mois en Asie, la première chose que j’avais faite avait été d’enfiler une paire d’escarpins CosmoParis, la larme à l’œil et le tube de rouge Chanel à la main. Au Népal, je passais de longues heures la nuit à imaginer la vie dans les Alpes, impatiente de retrouver mes montagnes alors que nous étions aux pieds de l’Himalaya. Au Laos, je pensais aux rues de Paris avec nostalgie alors que je mangeais un croissant au beurre sur le bord du Mekong à Luang Prabang. Mais au Canada, il s’est passé quelque chose, je ne saurais pas dire quand exactement. Je ne sais plus à quel moment j’ai arrêté de penser à la France avec nostalgie mais simplement avec le sourire. Je ne me souviens plus quand je me suis autorisée à aller travailler en leggings, ou à aller en boîte avec mon pantalon de ski. Je n’ai pas vu la transition s’opérer, jusqu’à ce que j’arrive à Paris mardi matin.

Je suis sortie de l’avion dans la grisaille parisienne, regardant mes voisins parler en français comme s’ils étaient des martiens. J’ai fondu en larmes devant le douanier qui m’a souhaité la bienvenue en France, et je me suis ruée chez Paul pour trouver un peu de réconfort dans un sandwich au sausisson que j’ai commandé en anglais, ne réalisant pas que je parlais anglais jusqu’à ce que je remarque l’œil vide et le sourcil levé de la caissière. J’ai repensé au vendeur du stand Hermès a Vancouver, le montpelliérain qui avait oublié son français et que j’avais critiqué allègrement, mon Dieu voilà que je devenais comme lui après moins d’une année à l’étranger.

"One sub and a coffee, please"
La tristesse s’est estompée dans le TGV, alors que la brume de la Terre du Milieu laissait la place petit à petit au soleil scintillant du sud de la France. J’ai vu par la fenêtre toutes les choses que j’aimais : la Saône verte qui brillait sous le soleil, le Transbordeur, le crayon lyonnais dans le ciel rose du matin, les quais de Lyon Part Dieu, et tout l’amour que je porte à cette ville et les personnes qui vivent dedans m’a réchauffé le cœur. J’ai continué ma route jusqu’à Montpellier, voyant défiler à très grande vitesse les maisons en pierres blanches et les clochers, écoutant avec tendresse les contrôleurs à l’accent du sud bafouiller les consignes dans un anglais marseillais, observant avec stupeur les mecs en scooter qui ne portent pas de casque me draguer au feu rouge, ou encore les gens qui me passent devant pour prendre l’ascenseur en premier.

9h46, le type qui boit une Leffe dans le TGV, on peut en parler?

Lyon Part-Dieu, ici, Lyon Part-Dieu.
Assurez-vous de n'avoir rien oublié dans le train.

Voilà pas de doute, j’étais de retour au pays mais ce n’était plus chez moi. Je regardais tout ça comme lorsque je regardais les rues de New York, j’avais l’impression d’avoir déjà tout vu dans les films, tout en sachant que je n’en faisais pas partie.

Alors je ne suis plus triste, je suis contente d’être en France, ce cher pays de mon enfance, sauf que voilà : je ne suis plus une enfant. C’est maintenant le pays des souvenirs, ceux qui font du bien à l’âme, comme l’a prouvée cette dernière soirée passée à Whistler avec mes deux amies françaises : vendredi soir, nous avons cuisiné religieusement une tartiflette avec le Reblochon de Savoie que Laura gardait depuis des mois dans le congélo pour une occasion spéciale, un verre de vin blanc à la main et Doc Gynéco en fond sonore. Puis la tartiflette est sortie du four, et chacune à notre tour on a incliné la tête au dessus du plat pour le respirer, les yeux mi-clos et le sourire aux lèvres, plongeant notre doigt dans la crème de Reblochon comme certains le feraient avec de l’eau bénite, le portant à notre bouche comme on fait un signe de croix, remerciant la mère de Laura pour ce fromage importé illégalement sur le sol canadien comme l’on remercierait Marie, notre mère à tous, notre bienfaitrice, Amen.


Sans commentaire.

Ces traditions font partie de nous et cette culture commune rapproche les exilés autour de souvenirs rassurants, les souvenirs de la vie d’avant. Mais en vrai, je vous le dis : nous sommes partis trop loin, ou trop longtemps. Nous ne faisons plus partie du présent de ce pays, la France n’est pas qu’une tartiflette qui sort du four. Je suis en France et je repère les souvenirs qui me font sourire : les bouteilles de vins au fond du Carrefour, les blagues Carambar, l’espresso au comptoir, l’odeur des viennoiseries dans la gare le matin. C’est tout comme avant mais c’est moi qui a changé. J’ai pas encore mangé de fromage et je me fais cuire des œufs over-easy pour le petit-dèj. J’ai pas encore ouvert mon placard pour porter mes vêtements parisiens, je suis toujours en leggings avec mon bonnet sur la tête. J’écoute la CBC news, je vais courir le matin. Je suis sur la Méditerranée, heureuse, mais mon cœur vit maintenant sur l’Heure Normale du Pacifique.



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