Pages

dimanche 9 mars 2014

Les uns et les autres

Facebook a changé les codes et les mentalités, toutes générations confondues, en moins de dix ans. En 2007 on ne savait pas trop quoi en faire, mais en 2014 on pense en communautés, et on sait quel comportement adopter sur le réseau social aussi surement que ceux à adopter en société. Il y a des choses qui ne trompent pas, et aussi sur que l’on s’attend à un « de rien » lorsque l’on dit « merci », les actions/réactions sur Facebook sont maintenant hypra prévisibles.

Je prends le dernier exemple en date parce que je suis de cette génération qui va bientôt avoir trente ans : la grossesse.

Vous qui jadis échangiez vos anecdotes de voyages et de soirées, assistez maintenant avec dépit a la publication des photos de la maison, de la chambre d’hôtel du voyage de noces, et de mains enlacées gantées de blanc et baguées de diamants.

Puis subitement, après 7 années de publications actives, les amoureux disparaissent de la toile. Vous ne voyez plus jamais aucune photo d’eux, et les commentaires se font rares ? Aussi sur que deux et deux font trois, c’est parce qu’ils attendent un heureux évènement! Patientez 5 a 7 mois avant de les voir resurgir tout à coup pour annoncer fièrement la fin de la grossesse et/ou la naissance de leur enfant, modifiant ainsi a jamais votre flux d’actualités pour le meilleur (ou pour le pire, selon vos centres d’intérêts personnels).

Vous pouvez donc être certains que 6 à 12 mois après le mariage arrivera l’annonce publique de la grossesse, qui va vous dégouter tout à fait de Facebook et de ses échanges mielleux de cœurs, de messages de félicitations, de photos de petits pieds et de petites menottes, voir malheureusement, dans beaucoup trop de cas selon moi, de photos de gros nichons, de gros bidons, de vergetures, ou encore de vidéos ou le pied de bébé défonce le ventre de maman.

Le tout à la sauce réseau social, c’est-à-dire avec filtre Instagram ou montage Photoshop aux couleurs pastels et à la typo en ruban.

Vous vous mettez insidieusement à regarder les albums photos de la vie de ces gens qui rivalisent d’originalité pour vous faire partager leur bonheur, à vous qui êtes célibataire, entourée de célibataires, dans une vie précaire et aventureuse ou les certitudes n’existent pas. L’achat de la maison, les fiançailles et la grossesse vous apparaissent comme un roman photo ou tout finira bien, un chemin de vie heureux et sain qui vous fait sentir moins que rien.

Qu’est-ce que le bonheur, vraiment ? Ne devrais-je pas suivre la voie pavée de dragées roses et bleues qu’empruntent tous mes proches ? A quel moment dans nos vies ai-je choisi le chemin de cailloux qui grimpe tellement sec qu’on ne voit pas le sommet ?

Parfois je regarde les chemins de vies de tous ces gens et je me demande si mes choix sont les bons. En fait, Facebook me stop dans l’ascension de ma propre route. Je m’arrête et je regarde en arrière, ça me donne le vertige. Je me demande si je ne ferais pas mieux de redescendre, de retourner sur le chemin que les autres empruntent le cœur léger. Je commence à avoir peur de tomber, de me casser un truc, de plus pouvoir avancer. Comment savoir si ce qui m’attend au sommet sera bien ?

Heureusement sur le chemin de cailloux, je ne suis pas toute seule. D’autres l’empruntent avec moi, chacun passe par un sentier différent, s’accroche a une touffe d’herbe que je n’avais pas vue, me montre un bon caillou sur lequel m’appuyer pour continuer à monter. J’arrête alors de regarder vers le bas et j’avance, en essayant de me frayer un chemin qui ne ressemble qu’à moi.

Et puis, de temps en temps, je reçois des messages de ceux qui sont sur l’autre route et qui regardent les photos de ma vie sur Facebook. Ils se posent les mêmes questions sur leurs choix que moi, se demandant si par hasard la grimpette vers un sommet incertain ne serait pas plus palpitante que la route de dragées roses et bleues.

Facebook est un fléau qui te met face aux choix des autres, ceux que tu n’as pas fait et qui auraient pu être une source de bonheur que tu ne connaitras jamais.

Le problème quand tu sors de la route, c’est que tu prends une hauteur qui te fait voir les choses autrement. Tu vois toutes les autres routes, chemins, sentiers et terriers que tu pourrais potentiellement emprunter. Tu n’aurais jamais vu ces routes si tu étais resté avec ta communauté initiale, et la question du choix ne se serait jamais posée. Mais maintenant c’est trop tard, tu sais : il y a un milliard de façon de vivre et chacune présente un nombre égale d’avantages et d’inconvénients, rendant le choix impossible, surtout pour une personne comme moi qui est incapable de choisir entre le Big Mac ou le Chicken Deluxe a Mc Do.

Quelle route emprunter, nom de dieu ? Parfois je préfèrerais ne pas savoir tout ce que je sais et avancer sereinement avec les autres, partager leurs galères et leurs moments de joie, mais je ne peux plus revenir en arrière. Le monde entier est accessible en moins de temps qu’un trajet Montpellier-Quimper. Plus je voyage et plus je rencontre des gens aux chemins de vie différents, et je réalise que le bonheur est partout pourvu qu’il ne ressemble pas au bonheur d’un autre que moi.

Le plus dur dans cette quête est donc de ne pas regarder le bonheur des autres comme un choix que j’aurais dû faire, mais simplement comme le bonheur de quelqu’un d’autre. Facebook n’aide pas à se concentrer sur ses propres débats intérieurs : comme si faire des choix de vie n’était pas déjà assez difficile comme ça, tu as en plus la possibilité de les comparer quotidiennement avec une centaine d’autres personnes qui ne te montreront jamais leurs propres moments de doutes.

Cette crise existentielle que je traverse depuis quelques semaines a été stoppée nette avant-hier, alors que j’en parlais au téléphone avec mon père, pleurant sur le fait que ma vie était un bordel sans nom, que je ne me sentais chez moi nulle part mais que je voulais vivre partout, que je ne savais pas ce que je voulais faire de ma vie professionnelle et personnelle et puis j’ai levé les yeux de mon écharpe et j’ai vu cet homme qui attendait pour traverser la route. Il devait avoir 30 ans, et il était en fauteuil roulant. Il n’avait ni jambe ni bras.

J’ai décidé de me remettre à grimper.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire