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jeudi 19 décembre 2013

Crise identitaire

Aussi loin que je me souvienne, j'ai entendu cette phrase de la bouche d'à peu près tout le monde : "ya pas de secret. Pour apprendre une nouvelle langue, il faut vivre en immersion totale".

Un peu comme si vos capacités d'apprentissage devenaient soudain surhumaine en dehors des frontières de votre pays natal. Un peu comme si votre cerveau, jusqu'alors imperméable aux cours de grammaire de Mrs Draftford en 4ème B, pouvait tout à coup comprendre une langue inconnue, pour la simple et unique raison que vous lui avez offert un billet Paris-Londres. En fait, j'imaginais qu'il se passait quelque chose de magique, une sorte de declic qui ne survenait qu'a l'etranger, un truc inexplicable pour les non-inities.

Alors imaginez un peu : depuis que je suis au collège, je veux faire partie de ceux qui SAVENT. Encouragée par les récits de voyage des uns et des autres, voilà 15 années que je ronge mon frein, attendant patiemment le moment où, à mon tour, je partirai en terres anglophones pour faire partie, enfin, de ceux qui reviennent au pays et t'assurent d'un air un peu blasé :
"ouais ça y est, je suis bilingue".
Ce moment est arrivé. Je veux dire, je suis arrivée à l'étape 1 de mon rêve de gosse : j'habite en terres anglophones. Parce que l'étape 2, le but ultime, l'étape finale, comprenez donc : être bilingue, est encore très loin devant moi.

Voilà pourtant 5 mois jour pour jour que je suis arrivée à Vancouver. Et bien que je travaille, que je lise, que vive en anglais, je m'exprime à peu près aussi bien qu'il y a 15 ans, lorsque j'étais au collège et que je rêvais de vivre en terres anglophones.

Alors d'accord, l'experience n'est pas un echec total. Ma compréhension s'est considérablement améliorée, notamment au cours des premieres semaines. Tant que je n'échange pas avec un habitant de Toronto, je comprends à peu près tout maintenant (No offense pour nos amis de l’Ontario : de leur propre aveux, ils parlent un anglais « paresseux ». Non contents de n'utiliser que des abréviations, ils ne prennent pas non plus la peine d'articuler, ce qui fait qu’ils ne prononcent en fait que des sons sans sous-titre).

Je dis bien que je comprend « à peu près » tout, car il m'arrive encore de ne comprendre que le mot clé du discours, l’idée principale autour de laquelle je vais axer ma compréhension générale. Cela peut d'ailleurs amener à de terribles quiproquos, lorsque je découvre au bout de 15 minutes que je n'avais pas compris le bon mot clé, et que je me fourvoie donc complètement sur le sens de la conversation que je suis en train de mener.

Bref. J'attends donc toujours ce fameux déclic, ce glorieux matin où je me réveillerai bilingue après une nuit de rêves en anglais (encore un autre mythe, si vous voulez mon avis). Ce moment béni où je rigolerai en même temps que mes amis au cinéma. Mais, puisque cela ne semble pas fonctionner pour moi,je recherche du réconfort auprès de tous les expats que je rencontre.

Certains sont de merveilleux alliés : des contemporains qui, cinq, dix, vingt ans après leur installation au Canada, parlent toujours comme des vaches normandes. Je bénis ces gens-là, que je repère de loin dans la rue, et sur qui je saute de joie en chantant la Marseillaise
- tu viens d'arriver toi aussi?
- non, j'habite là depuis huit ans
- ah! Awsome *!!!
* Awsome, c’est LE mot typique de Vancouver qui veut dire « génial »

Mais il y a aussi les agaçants, ceux qui font partie du Grand Mythe. Ceux qui sont devenu des petits génies en quittant la France. Je pense par exemple au vendeur du stand Hermès à Hudson Bay. L'autre jour, je suis allée me pschitter un peu de mon parfum en douce (ne pouvant pour l'instant pas m'offrir le luxe d'un flacon), lorsque le scélérat, voyant clair dans mon jeu, s'est approché pour tenter de me faire son petit numéro de vendeur de luxe.
Je n'avais pas prononcé deux mots que, comme d’habitude, j'étais mise à nue :
- ah! Tou es fwonçaise? -me demanda-t-il avec un accent américain pas possible
Nous avons alors entamé un début de conversation en français, moi articulant bien pour qu’il me comprenne et lui, maladroit, hésitant, cherchant ses mots pour me dire que, comme moi, il était né à Montpellier. Qu’il avait passé 23 ans de sa vie en Languedoc-Roussillon. Et qu'il était à Vancouver depuis quatre 4 ans seulement.

...Le garçon avait donc désappris sa langue maternelle au profit de l’anglais, à tel point qu’il ne s’en souvenait presque plus.

Morte de jalousie devant l'échec flagrant de ma propre intégration, je me suis pschitté encore 5 ou 6 fois avant de tourner les talons. Pourquoi lui et pas moi? Pourquoi tout le monde devient bilingue a l’étranger, sauf moi ? Qu'est ce qui cloche avec mon cerveau ?! Je ne suis pourtant pas plus bête qu'une autre nom de dieu.

Suite a cette terrible matinée, j'ai tenté d'analyser de façon objective ma façon de parler anglais afin de déterminer mes forces et mes faiblesses linguistiques. Et j'en ai tiré 3 critiques constructives.

Pour commencer, ma pensée est timide. Moi qui pars au quart de tour en français, je suis réservée et sans ressource en anglais. Parfois je voudrais répondre mais, peu certaine des mots à utiliser, je chuchote, je bafouille, je réplique en mono syllabe. Si cela me fait sentir aussi brillante qu'une poêle en fonte, ça a au moins le mérite de plaire aux hommes : depuis que je suis muette, j'ai un succès fou. Walt Disney me l’avait pourtant dit mais il semble que je l’avais oublié... Dans la Petite Sirène, Ursula fait une révélation que les petites filles feraient bien de retenir :



Ah, je peux dire que les Humains n'aiment pas les pipelettes,
Qu'ils pensent que les bavardes sont assommantes !
Que lorsqu'une femme sait tenir sa langue,
Elle est toujours bien plus charmante,
Et qu'après tout à quoi ça sert d'être savante ?

En plus, ils ont une Sainte horreur de la conversation,
Un gentleman fait tout pour l'éviter.
Mais ils seront les rampe-aux-pieds de la femme réservée,
C'est la Reine du silence qui se fait aimer !


Mais je m'égare. Ce que je veux dire en fait, c'est que ce premier frein dans la maîtrise d'une langue étrangère est de l'ordre de la confiance en soi. Avec un ou deux verres de vins toutefois, je pense plus librement et m'exprime avec plus d'aisance. Mais, n’étant pas vraiment portée sur la bouteille au quotidien, je suis muette ou un peu simplette, la plupart du temps.

Question d'assurance.

La deuxième critique tirée de mon auto-analyse est la suivante : il semblerait que la maîtrise d'une langue étrangère soit une question d'oreille musicale. Certaines personnes chantent faux, d'autres trouvent instinctivement les notes justes. Certains privilégiés ont l'oreille absolue et sont capables de reproduire un son de manière spontanément. Lorsque tu apprends une nouvelle langue, tu peux l’appréhender somme une suite de mots nouveaux, comme de fastidieuses leçons de conjugaison et de règles grammaticales. Ou bien, tu peux concevoir cette nouvelle langue comme une musique, et être capable de la fredonner au bout de deux ou trois écoutes.

Malheureusement pour moi, qui chante pourtant plutôt juste, et malgré mes six années de solfège, et en dépit du fait que j’écoute cette même musique encore et encore depuis cinq mois, je ne la retiens pas.

Question d'oreille.

La troisième et dernière observation est bien plus grave, parce qu’irrémédiable. Restons si vous le voulez bien dans le thème musical : j'ai lu quelque part que les bébés ne pleuraient pas de la même façon selon l'origine de leurs parents. Un nouveau-né mexicain de criera pas comme un nouveau-né allemand, comme si, déjà, leur sphère ORL était modelée dans une forme particulière qui ne produira a jamais que telle ou telle sonorité. J'ai des amis canadiens qui sont nés et ont grandis à Vancouver, mais dont les parents sont chinois. Hé bien croyez-moi, bien que leur anglais soit impeccable, ils le parlent avec des sons chinois.

je crois qu'en fait, le problème ne vient pas tant de ta capacité d'apprentissage, de ton assurance ou encore de ton oreille, mais bel et bien de l'ergonomie de ta sphère ORL. De la même façon que certaines personnes sont souples et d’autres raides comme un piquet, il y a des chanceux dotés d’une trachée flexible, et d’autres pas. Dans mon cas, puisqu'on parle de moi ici, ma langue ne se place pas où il faut, mes lèvres sont paresseuses et ma gorge ne module rien. Je suis bêtement coincée à prononcer des sons francophones, parce que je ne suis pas une athlète linguistique.

Question de muscles.



Je me rabats donc sur ce que je peux : capitaliser sur mon accent français, et assumer pleinement mes origines. Au début, j'essayais de m'appliquer à bien prononcer les mots pour ressembler à une canadienne. Maintenant, je parle comme une parisienne, pour la plus grande joie des populations locales qui s'extasient devant "such a lovely accent" ("un accent aussi adorable"). 

Pour eux, je suis Edith Piaf. Je suis Amélie Poulain. Je suis une peintre impressionniste, je sens la lavande de Provence, et je chante comme une cigale. Les clients m'adorent et je me fais houspiller par mes collègues parce que je papote trop, faisant voyager leurs oreilles à Paris ou au Mont Saint-Michel.
Contre toute attente, je deviens ambassadrice de mon pays, moi qui suis parti si loin de lui.

Me voilà donc garante de notre image de marque. J'interdis d'appeler un Cabernet Sauvignon du "cab-sav" (pratique hélas très répandue). Je rends honneur au "classic French racism" en faisant des blagues racistes à l'encontre des asiatiques (il n'y a malheureusement pas d'arabe à Vancouver). Je porte des gants de cuir vermillons et des chaussures CosmoParis, boycottant les leggings et les chaussures de yoga (mode pourtant si confortable que beaucoup d'entre nous l'ont déjà adoptée).

Bref, je cultive ma French touch. Et j'accepte doucement l'idée que je fais partie de ces expatriés qui, plutôt que de changer de nationalité, renforcent leur identité… Même si elle n’avait jusqu'alors jamais vraiment existé.

C'est un sentiment nouveau pour moi, cette identité définie en termes d'origine géographique. Je me sens, j'imagine, comme un français d'origine algérienne a qui on demanderait "bon et alors? Tu es français ou algérien?". Comment répondre a cette question saugrenue? Faut-il vraiment choisir ?

Je suis française au Canada. Je me sens canadienne, avec une culture française.
Vancouver est une ville qui permet a chaque canadien d’être ce qu'ils sont, de parler avec leur accent, de porter les vêtements qui correspondent a leur culture, de manger comme l'on mange dans leur pays d'origine. Je me souviens de l'indien enturbanné qui conduisait le taxi que j'ai pris la nuit de mon arrivée a la gare de Vancouver. Il parlait un anglais bancal et donnait l'impression d'd’être arrivé de New Dehli la veille, mais a la question "vous êtes d'ou?", il m'avait répondu :
"D'ici. De Vancouver".
Oh, Canada...

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