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mardi 10 décembre 2013

Le café

Lorsque j’étais au Vietnam en octobre 2011, la française que je suis a été invitée à prendre un café dans la plus fameuse maison de torréfaction du centre du pays. Impossible de me souvenir du nom ni de l’endroit, c’était quelque part entre Dalat et Nha Trang, au bord d’une route poussiéreuse et bruyante. C’était la première fois que je partageais un café vietnamien avec un vietnamien dans un endroit fréquenté par des vietnamiens, et le choc des cultures fut grand. Il était presque 7h du matin, et des dizaines d'hommes prenaient leur café entre hommes avant de partir travailler.

Crédit photo : moi

Assise sur un petit tabouret de plastique coloré, j’observais le rituel, impatiente, mal lunée, en manque de caféine pour commencer ma journée.
« Patience », me répétait My alors que mon café infusait au compte-goutte dans mon verre rempli de lait concentré. C’était interminable. Mais lorsqu’enfin ce fut fini, j’attrapais mon café et le vidait d’une traite, sous les yeux horrifiés de mon ami : de son coté de la table, il touillait encore le sien pour le lier au lait concentré.
Et comme si on n'avait pas déjà assez perdu de temps comme ça, il attendit encore un peu plus que le café tiédisse, puis le dégusta tranquillement, trempant ses lèvres dans son verre sucré, et faisant claquer sa langue de plaisir après chaque lampée. 


Café vietnamien avec le filtre sur le le verre,
et une dose généreuse  de lait concentré
Photo chipée sur gobackpacking.com

Je regardais tous ces hommes qui prenaient une heure de leur journée pour siroter leur café. S’ils travaillaient à La Défense, on les aurait déjà virés pour glandage éhonté. Mais la pause-café au Vietnam, c’est un rituel. C’est la petite parenthèse virile du matin, en dehors de la famille et loin du lieu de travail, un peu comme on irait prendre une bière-cacahuète avec les copains au PMU du coin.

Parce qu'n France, au contraire, le café se boit sur le pouce, bien fort et bien serré, debout entre la table de la cuisine et la porte d’entrée. Il est le coup d’envoi de la prochaine action. Le café est transition entre repos et travail. C’est un excitant, dans tous les sens du terme, a en croire les publicités ou une brunette sensuelle et un beau brun ténébreux se rencontrent un instant pour une étreinte torride.


Pub Carte Noire de mon année de naissance - bijou 

Boire un café à Paris, c’est devenir un adulte avec tout ce que cela implique : le travail, le sexe, la productivité, les apparences qu’il faut sauver. Le café est la boisson des winners, des dragueurs, des travailleurs.

En France, on apprécie un café comme un boit un bon vin, pour ses arômes, pour sa robe, pour sa texture en bouche. On ne va pas s’embêter de fanfreluches inutiles, l'essentiel est dans la tasse. Ainsi, le touriste abasourdi verra son café, débordant dans la coupelle, expédié nonchalamment par un serveur presse. Ce n'est pas le service qui fait un bon café. Mais qu'on se régale ou pas, c'est comme ça : on ne termine pas son repas sans un petit kawa.

Photo chipée sur michelleroohani.com

L'autre jour, mon coloc et moi étions dans un de nos grands débats nocturnes autour d'une bouteille de Brandy : en bons français, on comparait notre ville d'avant (Paris) a notre ville de maintenant (Vancouver), et comme souvent Paris l'emportait, parce qu'un peu de chauvinisme ne fait jamais de mal quand tu vis loin.

Alors on parlait du café a Vancouver, parce qu'ici on ne plaisante pas avec le café. C'est une institution, voyez. Les employeurs ne recrutent pas des barristas, mais des"Artistes du latte". Les clients font preuve d'une exigence digne du troisième Reich lorsqu'il s'agit de leur café, et gare a l'artiste qui prendrait un peu trop de liberté dans le dessin en crème fouettée. Pourtant, rien de sensationnel dans le café canadien : ce n’est en fait qu’un arôme pour boisson chaude, et la qualité des grains compte moins que l’image de l’endroit où ils sont torréfiés. C’est ainsi qu’à chaque coin de rue fleurissent des petits cafés de quartier, remplaçant les églises. Chacun sa paroisse, excusez mon langage. Ces lieux de cultes d’un genre nouveau sont à l’image de leurs habitués : certains tout simples et d’autres un brin surfaits.

Mais comme dirait Martin : "a Paris, le café est meilleur et pourtant, on me le jette a la gueule tu vois".

Et pour cause : si les cafés sont des petits paradis ou il fait bon flâner, le café a proprement parler, lui, ne fait pas vraiment rêver. A Vancouver, le café est le petit réconfort des grandes personnes, qui troquent en grandissant le chocolat chaud pour un Mocha double shot :  l’équivalent d’un espresso dans une très grande quantité de lait. Chaque café est unique, parce qu'il est fait tout spécialement pour la personne qui le commande : tiède, chaud ou très très chaud, lait végétal, crème, moitié-lait-et-moitié-crème, lait aromatisé ou encore lait écrémé... Le choix est infini mais attendez encore : on y ajoute ensuite de la cannelle ou du chocolat, de la crème fouettée entière ou low-fat, du nappage, du sirop avec ou sans sucre... Voila, ton café est prêt : tu peux enfin le siroter par petite gorgées dans un gobelet en carton qui porte ton prénom.

Dans la ville tout le monde travaille, le café se fait mobile : il faut pouvoir l’emporter dans la rue pour aller travailler, vite, ne pas perdre de temps mais prendre le temps, tout de même, de serrer dans ses mains son gobelet, comme une bouillote réconfortante qui accompagne en douceur la transition entre le lit et le bureau, entre enfance et âge adulte. Il y a quelque chose de tendre dans ce rapport au café. Et tant de proximité forcement, ça crée des liens ; je crois que je commence a avoir des sentiments pour cette boisson.

Steve et Shawn, deux grands enfants croisés ce matin sur la plage,
avec leur café-bouillote dans les mains

L'exemple typique du café bobo de Vancouver : boissons hors de prix,
produits bio ou gluten-free, bibliothèque commune en plein air...
Convertie au café le plus infâme et pourtant préféré des canadiens :
Tim Hortons

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