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vendredi 12 juillet 2013

80h de bus sur la Transcanadienne / Montréal-Vancouver in a shoestring

JOUR 1 : de Montréal (Quebec) a Thunder Bay (Ontario)



Quelques jours avant mon départ, une amie de Guillaume, apprenant ma conquête de l'ouest canadien, s'est exclamée: "magnifique!! Tu vas adorer. Par contre, surtout SURTOUT : n'y va pas en bus".

Voilà qui m'a fait quelques peu appréhender le road trip. Ses récits sur les cars vieillots inconfortables et puants m'ont presque donné envie de prendre l'avion. Finalement, je me suis équipée comme jamais, faisant preuve d'une organisation du tonnerre (moi qui n'organise jamais rien en voyage) : coussin gonflable, chaussettes, jogging, sweat moelleux acheté a la dernière minute, Tupperware remplie de nourriture, jus de fruits, magazines et mots croisés, lingettes pour se débarbouiller, bref Mary Poppins version trappeur.

Le voyage a commencé à 21h mardi soir. J'ai bien failli manquer mon bus à cause d'un excédent de poids de 4 malheureux kilos : il m’a fallu filer dare-dare au comptoir pour payer une taxe, quelques minutes seulement avant le départ.

A ce sujet, j'en profite pour crier à l'injustice, car les personnes qui pèsent 30 kg de plus que moi n'ont pas à payer quoi que ce soit. Il n'est pas normal que j'ai la même restriction de poids en soute qu'une personne de 80kg. J'y ai beaucoup réfléchis, et on devrait instaurer un système plus juste de poids packagé : un pack poids "individu + bagages n’excédant pas 100 Kg » (par exemple). Je songe sérieusement à soumettre cette proposition de génie à qui de droit.

Mais je m'égare.

J'ai donc sauté dans mon bus grâce à l'aide efficace de mon frère, qui a retenu le chauffeur prêt à partir sans moi, et de mon papa porteur de valises (et excellent sprinter). Il ne restait qu'une seule place, près d'un homme aux yeux bleus d'acier, et aux cheveux gris. On ne sait jamais sur qui on tombe, et quand on part pour un voyage de 80h, on a intérêt à bien tomber.
L'homme m'a parlé au bout de 5 minutes : "quelle chaleur, hein? Ca à pas de bon sens" (prononcé avec l’accent québécois, bien entendu).
Météo. Bon.
"C'est vrai que vous avez un sacré climat de fous ici au Québec : soit on se pèle la nouille, soit on étouffe" ai-je répondu pour répondre quelque chose.

Et c'était parti pour 2h de discussions captivante sur son enfance dans un Québec d'une autre génération : celle des hivers à -40 degrés, des marches de 2km avec "de la neige jusqu'aux genoux" pour aller à l'école, et du fleuve Saint-Laurent si gelé qu'on y avait installé une voie ferrée.
La génération du Québec des familles nombreuses gouvernées par les hommes d'église.
Gérald a une soixantaine d'années, et il est issu d'une famille de 12 enfants. J'étais stupéfaite : "Comment peut-on mettre au monde 12 enfants en 18 ans??! Comment on nourrit 20 personnes 3 fois par jour? Vous aviez un bus pour vous déplacer en famille? (Et autres questions farfelues)"
Il répondait en riant. " Et encore 12 enfants c'est rien, à notre paroisse il y avait une famille de 24. Je peux vous dire que nos mères en ont eu de la misère".

Aujourd'hui Gérald vit à Wawa en Ontario. "La ville des oiseaux". Il travaille "dans les arbres" ; c'est une sorte de super bucheron amoureux de la nature. On a passé 18h ensemble, à partager quelques cafés, beaucoup d'anecdotes et de longs silences à travers les lacs noirs et les épaisses forets de l'Ontario. J'ai adoré ce monsieur, j’étais presque triste de lui dire au revoir au bord d'une route de Wawa.

Gérald !

C'est en arrivant sur le Lac Supérieur, 2eme plus grand lac au monde, que la nature a commencé à être vraiment époustouflante. Entre ciel d'orage et éclaircies, la route transcanadienne serpentait entre de grandes étendues d'eau sombre et calmes, entourées d'épais arbres verts dont la cime se perdait dans la brume. On aurait dit la foret de Tarzan, majestueuse et calme. 



La puissance de cette nature m'a vraiment saisie. A certains endroits, les falaises verdoyantes s'effondraient dans les eaux. A d'autres, une longue plage de sable rouge accueillait des vagues bleues. Ici et là, des îlots d'épineux au milieu d'une mare d'eaux grises et immobiles.

Je me suis rendue compte que je ne pensais à rien, ce qui est rarissime pour moi qui suis en constante hyperactivité cérébrale. Dans le bus, j'étais simplement en contemplation, le nez collé à la vitre. Impossible de bouquiner ou d'écouter la musique tant le paysage était prenant...



Finalement à la fin de cette première journée de voyage, je me suis dit que ça allait passer vite, et que je n’étais pas si mal. Le bus est vite devenu notre petite auberge de jeunesse, entre pauses café sur des parkings glauques et déserts en pleine nuit, pauses pipi dans des toilettes glauques et désertes au milieu de nulle part, et rigolades générales grâces aux blagues de quelques joyeux conducteurs de bus (bien entendu, j'étais la seule a ne pas rire puisque la blague était prononcée au micro crépitant d’un bus, sans crier gare, avec un accent canadien à couper au couteau - autant vous dire que je faisais pas la fière).

Une charmante pause au milieu de nulle part...

JOUR 2 : de Winnipeg (Manitoba) a Calgary (Alberta)


Un matin quelque part en Ontario, j’ai fait la connaissance d’Aurianne, une belge de 22 ans qui parcours toute seule le Canada en stop, de long en large et en travers. Elle est pire que moi en terme de non-organisation, de gourmandise et de prise de risques, et c’est pour ça je crois que je l’ai tout de suite adorée.

Cette seconde journée de bus s’annonçait longue et inutile : on sortait enfin de l’interminable province de l’Ontario pour traverser les immenses pairies des provinces du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Alberta. Trois provinces vides, donc… Aurianne a été mon cadeau du Destin pour occuper ces 24h : nous les avons passées à rigoler, papoter à voix haute et en français (désolée à tous nos co-voyageurs), manger des Donuts et boire des cafés glacés à la crème fouettée.

Machiavéliques Donuts

Cette région du centre Canada, en plus de ne rien avoir à offrir en terme de paysages, nous a également prouvé qu’il pouvait faire chaud dans le grand nord : la chaleur étouffante, quasi-désertique nous a découragées de descendre du bus pour prendre des pauses. Et pourtant, Dieu sait que les pauses sont bienvenues dans ce genre de voyage ou l’on n’est jamais debout, jamais allongé, mais simplement assis. 

Dédicace a ma petite sœur Sucré
Petit matin dans le bus, le grand style de 50h de voyage

Je suis quand même un peu médisante sur ces trois pauvres provinces. La devise de la Saskatchewan est « The land of Living Skies » - et c’est vrai que, s’il n’y a rien d’autre à voir, ça vaut quand même le coup d’être vu.
Parce qu’il n’y a rien à l’horizon, le ciel parait être plus grand que partout ailleurs dans le monde. Il passe de l’orage au soleil, et d’immenses éclairs dans le ciel gris alternent avec des nuages de toutes les couleurs, a perte de vue. Et pendant des heures et des heures, aucun bâtiment ni aucune infrastructure ne vient abîmer cette toile grandiose et magnifique.


JOUR 3 : de Calgary (Alberta) a Vancouver (Colombie-Britannique) ENFIN !!!


Dernier bus, dernière journée de voyage, et quelle journée mon Dieu! 

Après 24h de plaines, tout à coup apparaissent les arbres, puis au loin, dans un ciel magnifique et clair, la ligne des Rocheuses tant attendues. Les sommets enneigés éclairés par le soleil du matin, et les lacs, et l'air glacial, et le sourire sur les visages de tout le monde dans le bus. 

Une escale a Banff

La route est une succession d'émerveillement, car chaque virage révèle une étendue d'eau turquoise et trouble, bouillonnante entre les sapins et les barrages de castors. Et toujours, en toile de fond, les montagnes de plus en plus belles, de plus en plus blanches. J'écoute les Daft Punk à fond en m'étonnant de ma chance d'être ici, de voir tout ça, enfin, après tant d'années à fantasmer cet endroit. 

Un petit bout de route...

Mais 2h avant l'arrivée, j'en peux plus, j'ai mal partout : j'ai mal aux jambes, aux fesses, au dos, au ventre (j'ai mangé tout ce que j'avais par ennuie), au cœur, à la nuque et aux yeux. Je crie "J'EN AI MARRE BORDEL" (en français, pour ne pas abîmer ma réputation de fille bien auprès de mon nouveau partenaire de voyage David from Toronto).
Je suis au bout du sifflet, et je n'ai même plus assez d'énergie pour être excitée d'arriver. Je me demande juste comment je vais bien pouvoir me traîner jusqu'à la maison de mes CouchSurfers, pour pouvoir y mourir en paix...

79eme heure de bus.

Moralité de cette interminable récit ?

Ce voyage épouvantablement long n'a été qu'une belle série de rencontres et de paysages époustouflants. J'ai pris la mesure de l’immensité de ce pays, j'ai ressenti exactement ce que je recherchais en choisissant de voyager par voie terrestre. Je suis heureuse de l'avoir fait, enfin - mais regardez-moi bien : je ne le referai JAMAIS !!

Much love

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